Un univers cinématographique et une démarche qui décompose, déstructure, zoome et redéfinit une scénographie déjà existante. Il a toujours aimé le cinéma et celui de Tarkovski et de Bunuel essentiellement, une fascination et une attirance qu'il ne saurait expliquer. C'est dans l'esthétique et les thématiques de ces deux cinéastes que Nabil Saouabi a trouvé refuge après une période de lassitude et d'abandon qui a lourdement duré depuis « les dormeurs », son exposition à la galerie El Marsa en 2014. C'est à la « Boîte », espace alternatif d'art et d'exposition niché au cœur de la zone industrielle de la Charguia, qu'il revient révéler en partie un projet en cours, entamé depuis à peine 3 mois, « Le temps scellé ». Nabil Saouabi ne se place pas là où nous l'attendons, nous sommes loin de ses autoportraits, de ses mises en abîmes, de ses personnages imposants, de l'actualité politique qui prime et s'impose par les dimensions des toiles, le trait souligné et grave de ses personnages. Il revient avec de petits formats, un univers cinématographique et une démarche qui décompose, déstructure, zoome et redéfinit une scénographie déjà existante. Entre deux grandes toiles accrochées sur les murs latéraux, Nabil Saouabi place près d'une dizaine de petits formats. Tel un story board, cette série d'œuvres repositionne les personnages selon le point de vue du peintre, son regard se place de multiples manières, et on retrouve les valeurs du cadre cinématographique dans chaque unité allant du plus serré au plus large. Le peintre copie par moments la position de la caméra, s'avance vers ses personnages mais à chaque moment il s'approprie ces éléments, les transforme et les redéfinit selon ses nouvelles lois, celles du pictural. Ce passage d'un support à un autre procure à Nabil Saouabi le plaisir d'en jouer, de soustraire ou d'ajouter, d'additionner et d'interchanger des personnages, de revoir la scénographie, d'éliminer quelques éléments au détriment d'autres et aussi de créer la distanciation nécessaire via la couleur aussi (puisque Los olvidados est un film en noir et blanc) pour faire cette immersion dans cet univers si particulier de ces deux cinéastes et leur donner cette nouvelle dimension du pictural. Dans la série Petits formats, les personnages voyagent d'un cadre à un autre, le lien se fait dans l'anachronisme, et créent leur propre logique. La fascination de Saouabi pour Tarkovski et Bunuel est compréhensible avec ces personnages qui regardent rarement le ciel, ces 4 éléments de la vie omniprésents, la terre comme matrice, l'eau, le feu.. Et la zone lieu dont personne ne connaît la nature. A-t-elle été touchée par une bombe atomique ? Une météorite ? La venue d'extraterrestres ? Cette zone est crainte; cette zone est danger où seuls des passeurs, nommés « stalkers», peuvent guider ceux qui tentent d'atteindre la zone... Dans Les Oubliés, «los olvidados », Nabil retrouve la force du drame, la charge du mouvement, la cruauté de l'action que le pictural fige. La séquence, où El Jaibo avec ses compagnons d'infortune tentent d'attaquer Don Carmelo, un aveugle cruel qui survit en jouant de la musique dans les rues, se charge de couleurs sombres illuminés de touches de couleurs vives, la présence massive des pigeons( qui n'existent pas dans la film) sur la tête du musicien aveugle avachi au pied de la statue de Lorca ( aussi ajouté par le peintre) amplifie l'atrocité de cette scène et surtout appuie la vision personnelle du peintre qui semble réécrire ces œuvres ou plutôt une manière de participer à leur écriture. Ce nouveau projet de Nabil Saouabi révèle une nouvelle piste qu'il emprunte, un autre chemin escarpé comme il les aime bien. Le travail est encore en cours de réalisation, dont les prémices sont à découvrir sur les cimaises de « la Boite », l'œuvre finale nous aurons la patience de l'attendre.