Le 25 mars la galerie Gorgi a accueilli Numen, l'exposition personnelle du plasticien Ahmed Zelfani. Ahmed Zelfani est un artiste dont la force et la grâce du regard ont su faire éclater les limites entre les arts et les disciplines. Dramaturge, scénographe, photographe, et plasticien, Ahmed a rêvé de lumière, de liberté, de sérénité, d'humanité, de vérité... et de Numen. Cédant la parole et l'instinct à ses œuvres, le peintre nous parle à travers ses tableaux de ses rêves, de ces corps qui habitent son imagination, de ces têtes qui meublent son esprit. Elles sont là, partout, elles te suivent, te regardent, puis t'observent pour enfin te scruter de l'intérieur, de tes entrailles... mais ce sont aussi leurs corps qui nous suivent, arpentent nos contrées intérieures. Ces corps grandeur nature sont puissants, imposants de par leur manière de s'asseoir, ou leur façon d'être debout ; nous avons l'impression que ces têtes-corps mis en scène n'ont existé que dans le théâtre ; la terre devient leur propre limite, et le pinceau suit ainsi le mouvement de leurs gestes, il ne veut pas s'arrêter, il est absorbé par la saveur du noir et blanc, par l'odeur du bleu et rouge, par la senteur des hommes et femmes, par la chaleur des vieux et jeunes... La matière photographique ne quitte pas l'univers pictural du peintre, elle est débris d'une main, éclat d'un menton, restes d'une tête, lambeau d'un front ridé et débridé, une fraction de magie pure. Ces silhouettes, qui supportent la fragilité du cœur et portent la pesanteur du corps, sont vêtues d'une sensualité poétique et généreuse. Avec ces personnages anonymes, ces toiles sans titre, nous avons l'impression qu'ils sont là entre les murs seulement pour quelques moments, que ces tableaux vivants respirent ces personnages, qui quitteront un jour et l'espace et le temps pour voler et atterrir dans un autre ailleurs moins étroit que notre mémoire, que notre histoire. La manière d'être et de faire de Ahmed Zelfani offre une poéticité grandeur nature ; elle montre et capte l'invisible, tourmente de mille et une manières. Le choix du terme «Numen» n'est pas d'ailleurs arbitraire pour cet artiste qui sait manier et le verbe et le pinceau, Cicéron et Rudolf Otto utilisent justement ce terme pour signifier la «puissance agissante» de la divinité. Ces personnages puissants constituent, en effet, une divinité mystérieuse et insondable. Numineux et lumineux, ces personnages fascinent, ensorcellent par leur élégance divinement simple. Vivant de peinture et d'eau fraîche, le geste gracieux du peintre nous regarde à travers ses personnages, à travers cette femme qui se prélasse au gré des couleurs, à travers ces costumes droits qui osent parfois le plissé, à travers le rythme vertical épuré, à travers ces pigments et ces couleurs essentielles qui vibrent aux émotions de l'artiste. «Je sens qu'il n'y a rien de plus réellement artistique que d'aimer les gens», disait Vincent Van Gogh et Ahmed a rendu visible la beauté de cet amour.