A l'issue de l'élection présidentielle française de 2007, Jean-Marie Le Pen était visiblement content. Le président du Front National d'extrême-droite est un fieffé stratège. Il s'était comporté en bon perdant. Certes, il était vaincu dès le premier tour. Mais il s'était en quelque sorte dissous dans le succès de ses idées. Et il le savait. Le savourait même. Et pour cause. Le candidat Sarkozy avait alors fait du concept problématique de l'identité nationale un thème récurrent de sa campagne présidentielle. Problématique l'identité nationale à la sauce de la droite française? Eminemment, oui. Parce que chargée de symboles, de non-dits et de projets d'exclusions et d'ostracismes. Les résultats se firent lourdement ressentir depuis. Premier acte, création du ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale. Une des promesses de campagne du candidat Sarkozy était honorée. Investi Président de la République française, Nicolas Sarkozy a continué de refuser de laisser ce thème à l'extrême-droite. Propulsé à la tête du ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale, Eric Besson avait inauguré solennellement à l'automne 2009 un "grand débat sur l'identité nationale". Il était soutenu au sommet de l'Etat: "Nous devons être fiers d'avoir restauré en France un discours assumé sur l'identité nationale et républicaine", avait écrit le Chef de l'Etat français à Eric Besson en juin 2009. Il l'avait même invité à "poursuivre ce travail, ouvert et sans tabou, de réaffirmation de ce que signifie d'être Français". Les observateurs avertis croyaient rêver. Eh quoi ! Toute cette émeute identitaire subite et aveugle au pays volontiers porte-étendard des droits de l'Homme? Au fil des jours, la réalité a cimenté un triste lot de corroboration de légitimes appréhensions. Ce fut une occasion inespérée pour un déferlement inédit de dérapages racistes. Des dérapages tant institutionnels que "civils" qui en disent long sur le potentiel d'animosité et de haine tapi dans les interstices de la société française. Ce fut l'occasion pour une véritable levée de boucliers dans les rangs de l'opposition française. Elle y a décelé, à juste titre, le procès en règle des immigrés et de l'Islam. Les rangs de l'UMP, parti de la majorité présidentielle, furent eux aussi déchirés par d'âpres débats et échanges à boulets rouges. Les derniers carrés de la droite française de tradition républicaine et jacobine faisaient de la résistance. Finalement, le débat sur l'identité nationale s'est graduellement vaporisé sans enfanter quelque mesure concrète de quelque ordre que ce soit. Hormis les séquelles résiduelles de la démonisation de l'Immigré et du Musulman. Des séquelles se superposant sur les couches géologiques de la haine et du rejet de l'autre dans les structures mentales françaises. Ainsi grandit la montagne de l'hostilité profonde et de la xénophobie ordinaire dans les consciences communes. Lors du remaniement ministériel français d'avant-hier, le ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale a été tout simplement supprimé. Le portefeuille de l'Immigration est quant à lui rattaché au ministère de l'Intérieur. Le tristement célèbre intitulé "Identité nationale" a disparu en bonne et due forme. Transfuge du Parti socialiste, Eric Besson est devenu ministre délégué à l'Industrie, de l'Energie et de l'Economie numérique auprès de la ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie Christine Lagarde. Finalement, un certain nombre de centristes et de socialistes quasi reconvertis ou repentis ont fait les frais du dernier remaniement ministériel en France. Le gouvernement est désormais plus marqué à droite. Mais la droite demeure somme toute à droite. C'est une évidence. Et elle aura toujours, en périodes électorales en prime, des tentations d'extrême droite. Chasser sur le territoire privilégié Front National semble tenir particulièrement à cœur à certains hommes politiques français, de droite comme de gauche. Ce faisant, ils caressent dans le sens du poil de la bête. Une bête tapie dans les zones les plus obscures des consciences saignées à blanc par la crise et ses effets pervers. En guise d'échappatoire, on lui offre l'Arabe, le Musulman, l'Immigré en pâture. Non sans risques et périls tant pour l'illusionniste que pour l'illusionné. Parce que la haine de l'autre, érigé en victime expiatoire et bouc émissaire, équivaut à une autodestruction. Et que, dans cet étrange marché de dupes, les vieilles traditions républicaines de la société française y perdent considérablement au change.