La chambre correctionnelle du tribunal correctionnel de Tunis vient de rendre le 25 mars 2011 un jugement peu commun. D'abord les faits. La victime, délinquant au casier judiciaire chargé, affirme avoir été arrêté, tard dans la nuit, au mois de mars 2004 par des agents de la police judiciaire de l'Ariana Nord. Après des violences physiques de la part des policiers, il a été transféré à la prison civile de Tunis où le médecin pénitentiaire a constaté des traces de violence flagrantes. L'expertise judiciaire ordonnée par le juge d'instruction a établi que «la victime»a subi une incapacité partielle permanente de 15 %. Toutefois, l'expert avait pris soin de préciser qu'il ne lui était pas possible d'établir une relation de cause à effet entre cette incapacité et l'agression présumée. Quant aux agents de l'ordre poursuivis, ils ont toujours nié les faits qui leur sont reprochés, indiquant que les traces de violence constatés par le médecin pénitentiaire avaient été provoquées par «la victime», professionnel du crime, en vue de les compromettre. Sur cette base, les agents de l'ordre ont été traduits en justice en vertu de l'article 101 du Code pénal qui punit de 5 ans d'emprisonnement tout fonctionnaire public, qui dans l'exercice de ses fonctions, a, sans motif légitime, usé de violences envers les personnes. Le tribunal a déclaré les agents de l'ordre coupables des faits qui leur sont reprochés et les a condamnés à deux ans d'emprisonnement ferme. Maintenant notre lecture de ce jugement. C'est d'abord un message pour les agents de l'ordre : Messieurs les policiers, on vous remercie pour votre sens du devoir. Mais attention ! Pas d'excès de zèle. Vous êtes chargés de veiller sur l'ordre et la tranquillité des citoyens : sachez utiliser des gants même quand vous avez affaire aux criminels les plus endurcis. Sinon, vous serez condamné pour violence ; il importe peu que l'expertise n'établisse pas de lien de causalité entre les violences présumées et le dommage subi par le délinquant victime ; le juge évalue le dossier selon son intime conviction. Le glaive de la justice vous atteindra sans pitié aucune. Mais c'est aussi un message pour les délinquants: Messieurs les délinquants, vous êtes en République; la loi vous protége contre tout dépassement de pouvoir. On vous garantit même dommages et intérêts, si les flics du pays ne respectent pas strictement vos droits de citoyens. Si vous possédez l'art de camoufler vos forfaits, vous êtes saufs car aucun policier de la République ne sera en droit de vous contraindre à avouer. Voyons, Messieurs les juges ! Quelle protection pourrait-on (et pourrez-vous) désormais attendre des policiers s'ils doivent accomplir leur devoir dans la crainte d'être condamnés aussi lourdement au moindre faux pas? S'agissant en l'espèce d'un criminel notoire, dont les accusations ne sont pas étayées par l'expert nommé par la justice, est-ce que l'article 101 du Code pénal, qui suppose l'exercice de violences, d'une part, sans motif légitime, d'autre part, n'a pas été évoqué et appliqué sans discernement ? Qu'une condamnation des policiers soit prononcée sur la base de l'intime conviction, soit ! N'aurait-il pas été plus sage de prononcer une peine moins lourde, qui ne remette pas en cause l'avenir professionnel des agents de l'ordre ? Enfin et surtout, un tel jugement, acceptable dans son principe, ne risque-t-il pas, par sa sévérité, d'être perçu comme une injustice et une menace par l'ensemble de leurs collègues, et de les dissuader à l'avenir d'accomplir convenablement leur devoir? Bossuet disait que le discernement est la qualité nécessaire du jugement A défaut, c'est le règne annoncé de la gabégie. Et l'espérance de jours meilleurs pour le crime.