Au menu de la troisième soirée de Doc à Tunis, édition spéciale, au théâtre municipal, deux films que l'on ne regrette pas d'avoir vus : «Bnet el boxe» (boxe avec elles) de Latifa Robbana Doghri et Salem Trabelsi et «Les scouts d'Al Mahdi» de Bruno Ulmer. Comme son nom l'indique, «Boxe avec elles» s'invite dans l'univers très particulier des boxeuses tunisiennes de l'équipe nationale. Elles ont différents profils et rêves, mais leur passion pour ce sport, considéré par plusieurs comme exclusivement masculin, les unit. On les voit d'abord sur le ring se battre comme des lionnes, avant de les découvrir une à une, défilant devant la caméra. Leurs paroles et les images du film transmettent au spectateur la profondeur du dilemme dans lequel elles vivent. Dilemme avant tout entre leur amour pour ce sport de combat et le regard de la société, qu'elles semblent unanimement régler en faveur du premier. Mais là où elles se battent encore, c'est au niveau personnel, à trouver un équilibre entre la ténacité que nécessite leur activité et leur féminité. Alors que certaines tiennent à la mettre en valeur, en dehors des longues heures d'entraînements, d'autres s'assument ou se laissent aller à leur passion. Dans les deux cas, ce n'est pas facile de vivre dans la peau d'une boxeuse quand on habite un quartier populaire, où les mentalités sont rigides et les conditions sociales difficiles. En se demandant d'ailleurs, pourquoi les boxeuses et aussi les boxeurs viennent souvent de quartiers démunis, on découvre que la réponse réside dans la question même. La vie dure les dirige vers la boxe pour s'affirmer et se défouler, pour devenir quelqu'un d'autre, le temps d'un combat. De vraies mains de fer dans des gants de boxe. Ces filles sont filmées avec de la pertinence du respect et de la beauté. Les images sont intelligemment agencées au service d'un message cinématographique et social et le passage entre les idées est fluide. «Boxe avec elles» est une découverte prometteuse pour le documentaire tunisien, qui nous a permis de ressaisir l'espoir après la déception de quelques «films» sur la «révolution». Des filles boxeuses, c'est peut-être là où commence la vraie révolution. Souhaitons à ces "million dollar babies" de la boxe tunisienne de ne pas payer trop cher leur passion… «Les scouts d'Al Mahdi», quant à lui, ne ménage point le spectateur. Il le met face à une réalité qui peut lui sembler choquante, inacceptable, mais qui lui arrache en même temps un certain respect. L'idée est de filmer une organisation de scouts pas comme les autres, celle du Hezbollah. Des scouts chiites du Sud-Liban qui vivent au rythme de la résistance à Israël. Bien qu'ils suivent les préceptes du mouvement mondial fondé par Lord Baden Powell, ces scouts n'ont rien de commun aux autres. Leurs cris et saluts ne sont autres que des louanges au prophète Mohamed, à l'imam Ali et à Al Mahdi qui, selon eux, reviendra à la fin des temps pour sauver l'humanité. Les rituels chiites font partie intégrante de leur quotidien de scouts. Dans le même temps, ils reçoivent l'enseignement basique du scoutisme, comme le secourisme et les actions sociales. Petit à petit, à travers cette fourmilière hors du commun, on comprend le fonctionnement de la machine du Hezbollah. Dès leur jeune âge, filles et garçons sont intégrés aux scouts d'Al Mahdi. Ils sont des chiites du sud du Liban, mais surtout des enfants de martyrs dans la guerre du parti contre l'occupation israélienne. Ces enfants sont accompagnés dans toutes les étapes de leur vie, scolarisés et totalement pris en charge, puisque le Hezbollah a sa propre infrastructure, entre écoles, hôpitaux, routes et ponts. Leur croissance mentale ne peut dévier d'un modèle unique qui leur est imposé, celui de l'idéologie du Hezbollah. Ils sont programmés à un même mode de vie, avec une admiration sans limites au chef Hassan Nasrallah et aux victoires du parti. Ce film essaye donc, en suivant les scouts d'Al Mahdi, de déceler le système micro-sociétal du Hezbollah, de chercher l'inconnue d'une équation où se côtoient étonnamment démocratie et idéologie. Loin de tout jugement, le réalisateur a choisi d'aller vers cet univers si différent du sien pour tenter de le comprendre. Il laisse quand même le spectateur ébahi face à la force de l'endoctrinement que le Hezbollah n'est pas le seul à pratiquer. «Les scouts d'Al Mahdi» rappelle, en effet, un autre film du genre, américain, «Jesus camp» (le camp de Jésus) de Rachel Grady et Heidi Ewing, projeté lors de la troisième édition de Doc à Tunis.