Par Jawhar CHATTY A ce rythme, on va devoir , bientôt, décréter la mobilisation, manu militari, des investisseurs…Trêve de plaisanterie ! En décidant de réduire, de nouveau, son taux directeur d'un demi-point de pourcentage, la Banque centrale de Tunisie (BCT) vient en effet d'émettre un signal significativement clair et fort en direction de la sphère privée de l'investissement. Avec désormais un taux directeur inférieur au taux d'inflation (un taux réel négatif), les investisseurs pourront non seulement recourir très avantageusement au financement bancaire mais aussi réaliser de juteuses plus -values. Sans doute, là n'est nullement la visée de la récente décision de la BCT, mais une conjoncture économique nationale marquée par une baisse significative de l'investissement privé ne laisse guère le choix à l'autorité monétaire. L'investissement étant le moteur de la croissance, il n'est en période de récession d'autre voie que de pratiquer un certain dumping par le jeu du taux d'intérêt et de l'inflation avec bien évidemment le risque d'une plus grande inflation. Quoi qu'il en soit, la décision de la BCT est fort louable, on n'est même tenté de dire qu'elle a relativement tardé à venir au regard de la morosité de la conjoncture économique nationale. Il faudrait espérer qu'elle trouve, cette fois-ci, le meilleur écho auprès de la sphère privée de l'investissement. Car, quoique alléchante, la baisse du taux directeur de la BCT ne peut, objectivement, pas à elle seule faire sortir les investisseurs de leur attitude attentiste, voire de leur immobilisme tant leur frilosité est grande et est, disent-ils, justifiée par le manque de visibilité qu'entretient un climat général où les turbulences de tout ordre sont désormais... cycliques. Si, toutefois, on peut dans une certaine mesure comprendre cette frilosité, on ne peut que demeurer perplexes quant au degré d'engagement patriote de la sphère privée de l'investissement alors même que chacun sait que sans investissement et sans croissance, il n'est point de stabilité sociale et politique envisageable, par-delà les considérations et les divergences politiques des uns et des autres. Même en temps normal, tout investissement comporte une part de risque. Sans doute celle-ci est-elle beaucoup plus grande en période de turbulences mais la communauté nationale n'est-elle pas aujourd'hui plus qu'hier en droit d'en appeler au sens de la responsabilité et à l'esprit citoyen des investisseurs nationaux ? Rien n'est plus légitime que la recherche du profit. Sans cette quête, il n'y aurait jamais eu ni investissement, ni innovation, ni «destruction créatrice» au sens de l'éminent économiste Joseph Schumpeter. Mais sans prise de risque et sans... sacrifices non plus. Serait- il de trop, pour l'amour de la Tunisie, que de consentir à quelques sacrifices en termes de profit ? Les investisseurs avisés et sincères, ceux-là mêmes qui inscrivent leurs actions sur le long terme et pour qui la spéculation est un crime, savent bien que les périodes de basse conjoncture sont de loin les plus propices à l'investissement. Ils savent que les sacrifices consentis aujourd'hui sont les dividendes de demain. Et ils le font loyalement, consciencieusement et résolument tournés vers l'avenir. C'est aussi cela l'esprit citoyen et patriotique. Au-delà de la décision de la BCT de baisser son taux directeur, la décision d'investir revient souverainement et toujours à l'investisseur et à lui seul, particulièrement en cette période difficile que traverse la Tunisie. Rendons à ce titre grâce à tous ces investisseurs petits et grands qui continuent, vaille que vaille, à soutenir l'économie nationale et à éviter que le pays ne retombe dans le chaos des premiers jours de la révolution.