La querelle intestine qui oppose, depuis quelques mois, le syndicat des magistrats tunisiens présidé par Mme Raoudha Laâbidi et l'Association tunisienne des magistrats dirigée par Mme Kalthoum Kennou n'est pas près de s'apaiser. La guerre des communiqués continue de plus belle et les négociations qui se déroulent au sein de la commission issue de l'Assemblée nationale constituante chargée de mettre en place le projet du décret-loi portant organisation temporaire des pouvoirs publics (la «petite» Constitution) ne font qu'envenimer davantage les rapports entre les deux structures. Celles-ci se disputent en effet la représentation des magistrats, avec l'irruption d'un troisième partenaire, l'Union des magistrats administratifs présidée par le juge Ahmed Souab, qui s'est rangé du côté du syndicat, épousant ses thèses et défendant ses propositions. Hier matin, Raoudha Laâbidi et Ahmed Souab, entourés de leurs lieutenants et munis de moult communiqués, déclarations et conventions de partenariat, ont tiré à boulets rouges sur l'Association des magistrats tunisiens (AMT), lors d'une conférence de presse, l'accusant ouvertement de «rouler» pour le futur gouvernnement «qui sera dominé par le Mouvement Ennahdha, lequel domine lui aussi, de son côté, la coalition qu'il a tissée avec Ettakatol et le CPR». «Ainsi, soulignent-ils, face à notre refus catégorique de voir le futur Conseil supérieur de la magistrature présidé par le président de l'Assemblée constituante et face à notre rejet de la proposition avancée au sein de la commission en question relative à la présidence par le futur président du Conseil des ministres du Conseil supérieur du Tribunal administratif, l'AMT se démarque de nos positions et nous surprend par son double langage en acceptant les propositions de la commission et en s'alignant sur le principe de la désignation des membres des deux conseils, au lieu de leur élection». «Nous disons non au double langage de l'AMT, non à un Conseil supérieur de la magistrature présidé par le président de l'Assemblée nationale constituante. Nos positions sont claires et tranchantes : l'élection est la voie unique qui permettra à quiconque parmi les magistrats de siéger dans les deux conseils», clame Mme Laâbidi. Elle souligne, par ailleurs, que le syndicat des magistrats et l'Union des magistrats administratifs ne sont pas restés «les bras croisés face à ce qui se trame dans les commissions closes (à la Constituante) qui ont refusé de nous écouter ou même de nous accorder une simple audience afin qu'on puisse leur soumettre nos propositions». Des propositions pratiques Et c'est dans l'objectif de faire entendre leur voix qu'une délégation du SMT et de l'Union des magistrats administratifs créée récemment (UMT) s'est déplacée au siège de l'Assemblée nationale constituante dans le but de rencontrer les membres de la commission chargée de l'élaboration du décret sur l'organisation temporaire des pouvoirs publics et de les sensibiliser à l'importance de leurs doléances. Malheureusement, personne n'a daigné recevoir ou écouter la délégation des magistrats qui se sont contentés de déposer leur document portant leurs conceptions et suggestions auprès du bureau d'ordre de l'Assemblée constituante dans l'espoir de voir les membres de la commission spécialisée y jeter un coup d'œil. En quoi consistent les propositions avancées par les magistrats du syndicat et de l'Union des magistrats administratifs? Mme Raoudha Laâbidi les résume en cinq grands axes : – La consécration de la séparation entre le pouvoir judiciaire et les pouvoirs exécutif et législatif. «Nous constituons un pouvoir à part entière et non un secteur ou un corps comme certaines personnes se plaisent à dire dans le but de réduire l'importance et le poids de la magistrature», n'ont pas cessé de marteler les magistrats présents à la rencontre de presse. – La préservation de la dualité juridictionnelle (une justice traditionnelle et une justice administrative). – La dissolution du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil supérieur du Tribunal administratif et leur remplacement par deux conseils se composant exclusivement de magistrats élus et ne pouvant être présidés que par des magistrats, et ce, dans l'objectif de consacrer l'indépendance du pouvoir judiciaire (contrairement aux propositions de la commission de la Constituante appelant à ce que les deux conseils soient présidés par le président de la Constituante et le président du Conseil des ministres). – Le renforcement des prérogatives des conseils supérieurs à travers notamment leur attribution d'un pouvoir décisionnel pour ce qui est de l'évolution de la carrière professionnelle des magistrats. – La nécessité de faire participer les magistrats à la réforme du système judiciaire. Il est à préciser que le syndicat des magistrats et l'Union des magistrats administratifs viennent de conclure, lundi 28 novembre 2011, un mémorandum d'entente en vertu duquel ils ont décidé de se concerter et de coordonner leurs efforts pour ce qui est des questions communes à l'instar de l'élaboration par la commission spécialisée de la Constituante du décret portant organisation temporaire des pouvoirs publics, de l'inclusion du pouvoir judiciaire dans la prochaine Constitution, de la justice transitionnelle, notamment les affaires ayant trait à la malversation dans le système judiciaire, et de la garantie de l'indépendance du pouvoir judiciaire au niveau des textes législatifs et réglementaires. Et si la commission de la Constituante n'accordait aucun crédit aux doléances des magistrats ? «Nous continuerons notre mouvement de protestation et nous irons jusqu'à la grève au cas où il n'y aurait pas de solution négociée avec le futur gouvernement», affirme Mme Laâbidi.