Par Jawhar CHATTY Le Groupe Leoni-Tunisie, spécialisé dans la fabrication de câbles automobiles, a décidé de fermer son unité de Mateur qui emploie 3.500 personnes. Un nouveau coup dur, et de taille, pour l'économie nationale après celui qu'elle avait subi suite à la décision de fermeture, en décembre dernier, de la câblerie d'Om Larayes, unité de production relevant du groupe japonais Yazaki. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l'impossibilité d'assurer le fonctionnement normal du travail, «malgré les efforts déployés pour trouver une plateforme consensuelle de dialogue avec les parties concernées», semble justifier ces deux décisions qui interviennent à deux mois à peine d'intervalle et qui touchent toutes les deux un secteur aussi sensible que celui de l'industrie automobile dans ce qu'elle a de plus exigeant, la haute technologie des faisceaux et des câbles. Ces deux décisions ont relativement le même impact sur le court terme mais elles n'ont en commun ni la charge hautement symbolique ni la portée et les effets à moyen-long terme. Et c'est à ce double niveau que réside tout le problème. Le départ, même partiel, d'un investisseur historique de la Tunisie, appartenant à un espace géopolitique et économique proche, l'Europe, et avec lequel notre pays entretient un lien quasi organique, n'est guère à prendre à la légère. Il y a plus d'un un mois, et en réaction à la fermeture de la câblerie d'Om Larayes, nous avons écrit que «si par malheur, une entreprise européenne installée en Tunisie s'était comportée à l'instar de l'entreprise japonaise Yazaki, cela aurait immanquablement suscité un véritable tollé et un lever de boucliers... aussi bien en Tunisie qu'au sein de l'Union européenne. Il est, en effet, des partenariats et des liens historiques qui ne tolèrent guère ce genre de désolidarisation par-delà toutes les raisons objectives qui pourraient le justifier ». En écrivant cela, on était bien évidemment à mille lieues d'imaginer que ce « malheur » puisse un jour advenir. On avait sans doute eu la naïveté de croire que le bon sens finira toujours par l'emporter, par-delà les divergences conjoncturelles des « partenaires sociaux ». On avait sous-estimé l'irresponsabilité des sit-inneurs et de ceux qui les soutiennent tout autant que la gravité de certains comportements jusqu'au-boutistes. On avait sans doute aussi placé beaucoup d'espoir dans la capacité du gouvernement à anticiper et à bien gérer ce genre de situation en se montrant à la fois ouvert à la concertation et au dialogue social mais en se montrant tout aussi ferme et intransigeant chaque fois qu'il s'agit de faire respecter la loi et de préserver l'intérêt de la collectivité. Mais jamais et à aucun moment, l'on avait perçu, au travers de ce bouillonnement, l'ombre d'une quelconque fuite en avant. Fleuron de l'industrie automobile allemande, Leoni est en Tunisie depuis 1977. Le groupe emploie 14.000 cadres et employés dans ses unités de Messadine, Ezzahra et Mateur. Il n'a guère fait le dos en termes d'emplois et d'investissement aux régions intérieures du pays. C'est en pensant à cette entreprise, un des symboles de la solidité du partenariat économique tuniso-allemand, qu'il y a quelques années, l'ambassadeur d'Allemagne en Tunis avait déclaré, au cours d'une conférence de presse: «Les allemands et les Européens qui roulent en Mercedes, roulent tunisien ! ». Seuls un rare degré d'irresponsabilité et une fuite en avant pouvaient rendre incapables de voir l'étendue et de mesurer la portée de la décision du groupe allemand Leoni. Ce départ, même partiel, est un message qui a tout l'air d'un avertissement.