Après la marée blanche qui a déferlé sur des villes du Nord-Ouest tunisien, voilà que la nature s'acharne à nouveau sur cette partie du pays. Et, cette fois, c'est la pluie qui s'y met, arrachant l'oued Medjerda à son sommeil. On nous apprend que la persistance de ces pluies, dans le gouvernorat de Jendouba, risque de provoquer la montée les eaux de cet oued et entraîner, ainsi, de graves conséquences... Nous décidons de nous rendre sur place. Il est 12 heures passé. Nous sommes à l'Aouaïchia, à environ 6 km de Jendouba. Des pluies torrentielles n'ont pas cessé de s'abattre, depuis deux jours, sur tout le gouvernorat de Jendouba (d'autres villes du pays ont connu le même sort !) faisant ainsi réagir le lit de l'oued Medjerda côté tunisien, qui fait écho au débordement de sa source algérienne. En effet, l'Algérie connaît aussi cette même affluence de précipitations, si ce n'est plus, et c'est ce qui fait que la coupe de l'oued en Tunisie peut déborder... Ces inondations ont plongé les habitants de l'Aouaïchia dans le désarroi et la panique. «Ce n'est pas la première fois que cela nous arrive. C'est toujours le même problème depuis bien des années» lance, en nous voyant, Maâroufi Mongi, un des riverains. Un affolement plus que légitime lorsqu'on se retrouve, en 24 heures, submergés par les eaux, champs et habitations compris. «Nous sommes en tout une vingtaine de familles et, à cause de ces bouleversements climatiques, nous risquons de perdre les quelques biens que nous possédons... Déjà que nos récoltes de blé ont été enfouies par ces eaux...», affirme encore l'habitant. Et c'est peu dire : on ne peut que s'alarmer en voyant le tableau qui s'offre à nos regards et qui révèle une sorte de petite île, avec quelques maisons entourées d'eau (derrière elles, les eaux de l'oued Medjerda et, devant, celles enfantées par les pluies torrentielles). « Ce que vous voyez devant vous n'est pas une partie de l'oued, ce sont nos récoltes submergées. L'oued se trouve derrière nos maisons... », explique un autre habitant. Et de reprendre : «Nous n'avons pas cessé, depuis ce matin, de réclamer l'intervention de la protection civile, mais rien n'y fait. Si les eaux continuent de monter, nous risquons de tout perdre : nos maisons, notre bétail, nos biens... tout !». Ces craintes sont justifiées, car cette zone a longtemps souffert de ces bouleversements climatiques et, bien des fois, ses habitants, encerclés par les eaux, ont dû être évacués par hélicoptère ou par vedette. Le cauchemar se dessine à nouveau et la sérénité n'est plus au rendez-vous, cédant la place à l'angoisse, à la peur et à la vision des pire éventualités. «Nous craignons le pire, Dieu fasse que cette journée se termine sans drame...» : ce sont ces mots que nous entendons quand nous quittons cette assemblée masculine pour rencontrer, un peu plus loin, la gent féminine qui nous fait part à son tour de ses angoisses. Pourquoi les autorités agissent-elles toujours après coup ? Pourquoi ne pas prévenir ce genre de scénario, surtout quand il s'agit de zones qui ont déjà connu le même sort dans le passé ? Nous nous posons les mêmes questions que ces gens. Direction Jendouba... Entre-temps, on apprend qu'une montée des eaux est prévue dans une heure. Sur la route, les commerçants ont déjà fermé boutique; certains essayent même de reloger leurs marchandises sur les toits... A Jendouba, c'est une autre ambiance qui nous attend, avec une arrière odeur de «lacrymo», l'unique trace, avec la forte mobilisation des agents de police, des altercations qui ont eu lieu mercredi et jeudi entre forces de l'ordre et un groupe salafiste. Il est 13h35. De retour à Bousalem. La route principale et ses alentours commencent déjà à être submergés. Pourtant, il n'a pas beaucoup plu : ce sont donc les montées des eaux qui prennent de l'ampleur. Au niveau du pont donnant sur une partie de l'oued Mejerda, les habitants se sont massés comme pour observer ce gain de niveau, «qui a dû atteindre les 7 mètres», nous confie un vieil homme. Les plus jeunes sont surexcités, les plus âgés sont inquiets, mais tous sont venus écouter parler l'oued, attendre là et observer, avec la seule consolation d'une éventuelle baisse du niveau des eaux dans les heures à venir... De retour sur Tunis, nous contactons un des habitants de l'Aouaïchia, qui nous apprend qu'après notre départ, les choses se sont corsées, et que des familles ont dû être évacuées par la Protection civile... En somme, rien de catastrophique et, aujourd'hui, la situation aurait pu être dramatique... C'est ce conditionnel qui vient nous arracher à nos certitudes. Qu'en sera-t-il de demain ? Faut-il attendre que l'oued avoisinant Mellègue se joigne à la partie et se mette à déborder à son tour, pour que les autorités concernées prennent de vraies mesures préventives et essayent de trouver de vraies solutions au problème ?