Luxe, lucre et stupre. Trois mots pour qualifier l'ambiance qui régnait à la Havane, quelques jours avant la chute du régime du dictateur Batista. Le Che incarné n'en revenait pas à la vue d'un si grand et ostentatoire étalement de richesses. A telle enseigne qu'il décréta la fermeture manu militari des clubs de nuit. Pourtant, toute la richesse de l'art cubain s'y déversait dans une sublime transe. De cette sublime transe, le Che n'avait vu qu'un travestissement de la culture cubaine au service de l'impérialisme américain. Le Che ne se séparait jamais de son cigare. Il semblait même y être plus accoutumé qu'à son arme. Si, depuis, il est devenu l'icône et l'idole inoxydables des jeunes du monde entier et jusqu'à aujourd'hui, le Che le doit étrangement plus à son arme qu'à son cigare ! Ironie de l'Histoire, son cigare était devenu le symbole même de l'impérialisme américain qu'il entendait, pourtant, combattre. L'accessoire par excellence de tout homme d'affaires avide de profit. De l'arme du rebelle qu'il fût, il ne serait resté qu'une effigie, des discours et... une utopie. Et une grande et immense désolation de la société cubaine... Fidèle à cet héritage révolutionnaire, Castro était allé jusqu'au bout de ses limites. On connaît la suite... Le départ massif d'artistes et d'intellectuels cubains vers les Etats-Unis, via Miami. Ceux qui avaient eu la malchance d'être restés à la Havane, ou par conviction ou par manque de moyens, avaient au mieux fini leurs vies dans la misère... Aujourd'hui à Cuba, la culture cubaine s'exhibe dans les seuls lieux autorisés : des clubs privés ouverts à la seule jet-set occidentale des affaires et de la finance mondiale ! Les cigares y sont offerts à volonté, le homard aussi. Purs produits cubains, ils sont tout naturellement hors de prix pour les Cubains. Avec aujourd'hui des taux de pauvreté et de chômage qu'il serait indécent de les préciser. Moralité de l'histoire : il n'est guère bon, pour les révolutions, d'enfermer la culture dans des clubs privés pour une certaine élite, ni d'en faire un produit de propagande et un produit exclusivement réservé à l'exportation. La révolution tunisienne sera-t-elle cette exception à la règle qui viendrait infirmer les tentatives de soumission à l'ordre «néo impérial» ? Tout dépendra de ce que le gouvernement actuel et, surtout, les constituants entendront donner à la culture et à la liberté créatrice dans la Constitution tunisienne en devenir. On ne saurait à cet égard trop recommander à nos dirigeants de daigner voir, ou revoir, deux films cultes qui retracent merveilleusement et intelligemment l'épopée d'une révolution cubaine, avec ses espoirs et ses désillusions : The lost city de Andy Garcia, et, Buena vista Social club de Wim Wenders.