Quel regard portez-vous sur le programme économique et social proposé par le chef du gouvernement dans le cadre du budget et de la loi de finances complémentaire pour 2012? Considérez-vous que les promesses contenues dans ce programme sont réalisables et réalistes, plus particulièrement pour ce qui est de la création de 100 mille emplois d'ici fin 2012 et de la réalisation d'un taux de croissance de l'ordre de 3,5% ? Les constituants appartenant aux diverses sensibilités représentées au sein de la Constituante qui ont répondu à nos questions attirent l'attention sur «l'attractivité des chiffres et sur leur aspect séduction qui peut être trompeur comme ce fut le cas du temps du régime novembriste». Ils s'accordent également à préciser qu'ils «attendent les réalisations» tout en se félicitant qu'«un chef de gouvernement reconnaît, pour la première fois, dans l'histoire de la Tunisie, que son équipe a commis des erreurs dans le traitement de l'affaire de la manifestation du 9 avril sur l'avenue Habib-Bourguiba; et encore plus, il s'en excuse publiquement devant les élus du peuple». Nous avons besoin d'une révolution sociale Pour le jeune constituant Skander Bouallagui, élu sur les listes d'Al Aridha, «le programme présenté par Hamadi Jebali comporte certains indicateurs positifs en matière de relance économique et de développement du rendement du gouvernement traduit par certains chiffres. Toutefois, le peuple tunisien sait très bien que les chiffres ne traduisent pas toujours la réalité. Nous nous sommes habitués aux chiffres trompeurs de l'ancien régime et nous attendons pour voir les indicateurs exposés, aujourd'hui, dans la déclaration du gouvernement, concrétisés dans le vécu quotidien des Tunisiens, plus particulièrement ce chiffre tant séducteur de 100.000 emplois que le ministre de la Formation professionnelle et de l'Emploi Abdelwaheb Maâtar ne cesse de marteler d'un séminaire à l'autre. L'essentiel pour nous est que la Tunisie a besoin d'une révolution sociale que les Tunisiens vivront concrètement. Malheureusement, le programme proposé, aujourd'hui, par le gouvernement n'a pas les moyens ni l'ambition de réaliser cette révolution». Quant au traitement réservé par le gouvernement Jebali à l'affaire des médias publics, plus particulièrement la TV nationale, Skander Bouallagui pense que «le gouvernement nous a habitués à reculer quand les partis politiques et les composantes de la société civile se mobilisent pour dénoncer ses erreurs et mettre à nu ses plans, cherchant à s'immiscer dans toutes les structures étatiques. Je demeure convaincu que nous avons besoin d'un gouvernement révolutionnaire et non d'un gouvernement hésitant». Mohamed Hamdi, président du Groupe démocratique au sein de la Constituante, pense, quant à lui, que «le programme Jebali comporte plusieurs généralités, à l'instar de celui qui nous a été proposé fin décembre 2011. Malheureusement, encore une fois, on nous a servi de la littérature politique». «C'est un programme qui n'est pas digne d'un gouvernement post-révolution dans la mesure où il reproduit, dans ses grandes orientations, le même modèle de développement que prônait le régime déchu et qui a abouti, précisément, à la révolution. C'est aussi un programme qui ignore que le gouvernement a une durée déterminée ne dépassant pas au maximum un an et six mois, dans la mesure où celui-ci se permet de programmer des projets qui iront jusqu'en 2030. Ainsi, il y aura des mesures urgentes qui ne dépasseront pas 2013, alors que celles à moyen terme s'étaleront jusqu'à 2017 et celles à long terme atteindront 2030», poursuit-il. Quant à l'engagement relatif à la création de 100.000 emplois dont 25.000 dans la Fonction et le secteur publics, Mohamed Hamdi s'étonne de voir le gouvernement «parler au nom du secteur privé, appelé à offrir les 75.000 emplois restants, alors que tout le monde sait que la situation sociale, sécuritaire et économique ne le permet pas». Une première à saluer «Il est important de relever que l'allocution de Hamadi Jebali constitue le premier discours officiel où un gouvernement reconnaît la difficulté de l'étape et procède à son autocritique pour ce qui est de la violence exagérée des forces de l'ordre lors de la manifestation du 9 avril 2012, un comportement inadmissible pour lequel le gouvernement s'excuse officiellement», note le constituant indépendant Fayçal Jadlaoui. Il précise encore : «Pour moi, la déclaration du gouvernement renferme un message clair : la réforme du système économique n'est pas facile et demande beaucoup de temps, en vue de réduire le taux de chômage qui a atteint un seuil inacceptable, soit 800.000 chômeurs, outre l'incapacité des projets déjà programmés de résorber cette crise». Mohamed Brahmi, président du Mouvement «Achaâb», pense, de son côté, que «les promesses économiques du gouvernement (100.000 postes d'emploi et un taux de croissance de 3,5%) relèvent du domaine des rêves dans la mesure où le dernier rapport de la Banque centrale a révélé que le taux de croissance est négatif (-2,4% contre -1,8% prévu au cours des trois derniers mois), ce qui revient à dire que nous avons perdu 6.000 postes d'emploi. Parler d'un taux de croissance de 3,5% revient à dire que le taux de croissance en 2012 doit atteindre 5,9% et là c'est un taux impossible à réaliser, eu égard aux données nationales économiques et sociales et à la situation géostratégique dans la région (la situation en Libye, l'Etat de l'Azwad au sud du Sahara, la situation au Soudan, la situation dans l'Union européenne, la situation dans le Golfe arabe, la Syrie). Cette situation entraînera automatiquement l'augmentation des prix des hydrocarbures, la hausse du coût sécuritaire et la perte de la confiance auprès de l'investisseur étranger ainsi que l'investisseur national. Pour ce qui est du projet relatif à la création d'une instance chargée de la justice transitionnelle, je crains fort qu'il y ait un choix vers la conclusion d'un marché avec les hommes d'affaires corrompus dans les affaires de malversation». Créer 100 mille emplois est possible Cheikh Habib Ellouz, membre du bureau exécutif d'Ennahdha, revient sur le dossier de la création de 100 mille emplois promis par le gouvernement en 2012 pour révéler que «d'après les indiscrétions recueillies auprès de plusieurs ministres rencontrés dans les coulisses, le gouvernement a déjà offert 47.000 emplois depuis son entrée en fonction. Malheureusement, ces créations n'ont pas été annoncées publiquement, les ministres concernés préférant garder leur réserve et considérant que ces chiffres doivent être portés à la connaissance de l'opinion publique par l'Institut national de la statistique qui est l'institution habilitée à fournir ces informations. Mieux encore, plusieurs ministres pensent qu'il est certain qu'on peut faire employer 100.000 demandeurs, outre les postes qui sont à créer par le biais des programmes de coopération internationale». Le constituant exprime son étonnement quant à l'attitude de ces ministres qui «s'abstiennent de fournir ces données au peuple, avançant le prétexte de respecter les règles de l'objectivité et de la neutralité. Moi, personnellement, je n'arrive pas à saisir le contenu de cette objectivité». Y a-t-il un marché en l'air entre le gouvernement et les hommes d'affaires accusés de malversation et d'avoir pioché largement dans l'argent public ? Le constituant nahdhaoui est tranchant dans sa réponse: «Il n'y aura pas de marché avec les corrompus parmi les hommes d'affaires. En témoignent, la création du groupement judiciaire financier qui sera chargé de ce dossier et les cycles de formation dont ont bénéficié plus de 50 magistrats en matière de lutte contre la fraude fiscale et les marchés publics louches». Volet médias publics, il estime que «le gouvernement doit trancher dans la mesure où les deux chaînes publiques sont toujours dirigées par d'anciens responsables qui ont soutenu Ben Ali, qu'ils soient rcédistes ou appartenant à la gauche, qui s'est compromise avec le régime déchu. Est-il normal ou relève-t-il de la démocratie que les médias publics demeurent sous l'emprise de ces gens ?» Un optimisme un peu excessif Ahmed Brahim, président du mouvement «Al Massar», pense qu'il y a «beaucoup de volontarisme dans le programme Jebali et aussi un optimisme un peu excessif (10% de hausse des exportations)». «Beaucoup de points dans le programme suscitent des interrogations quant à la provenance des crédits qui seront mobilisés en vue de financer plusieurs projets», précise-t-il encore. Il souligne, d'autre part, qu'il y a beaucoup de points d'ombre qu'il faudrait élucider à l'instar «des 600 mille dollars qui proviendront de dons étrangers et des 450 MD attendus en tant que contributions volontaires des citoyens qui proviendront de la réconciliation avec les hommes d'affaires, ce qui laisse entendre que le marché prévu avec ces mêmes hommes d'affaires est bel et bien réel, contrairement à toutes les déclarations qui nient cet accord».