Le Centre intégré pour la jeunesse et l'enfance du Kef a abrité du 11 au 14 septembre dernier un workshop de photo destiné aux enfants. Cette formation ciblant des petits en situation de vie difficile a été organisée par l'Unicef en collaboration avec le ministère des Affaires de la Femme et de la Famille. Une expérience, qui a révélé, à travers la belle moisson de photos récoltées par les enfants, une créativité cachée et un regard intelligent sur tout ce qui se passe dans l'environnement direct des jeunes apprentis photographes. Notre reportage. Aucun des seize enfants qui viennent de recevoir un paquet, dont le contenu fait briller les yeux de toute l'assemblée — un appareil photo, son mode d'emploi, sa batterie et sa carte mémoire — n'a jamais tenu de caméra entre les mains. «Partout dans le monde, ce moment est toujours très excitant pour les petits !», témoigne Giacomo Pirozzi, le photographe, de renommée internationale, qui a dirigé du 11 au 14 septembre dernier un atelier de photographie en faveur des enfants défavorisés par la vie de la région du Kef. Après le Pakistan, la Palestine, la Libye, la Géorgie, l'Afrique du Sud, le Japon, les Philippines, l'Ethiopie, le Mali, le Rwanda, le Liberia, Madagascar, c'est en Tunisie que récemment le projet Eye See (Je regarde), piloté par l'Unicef avec le soutien d'une grande firme internationale, a élu domicile. Les enfants ayant bénéficié de ce programme se trouvent essentiellement dans des zones ravagées par les guerres civiles, la pauvreté, les cyclones, les tremblements de terre... L'initiation à la photo leur permet d'exprimer un traumatisme refoulé, une créativité cachée et une foule d'émotions. De prendre conscience des problèmes sociaux qui les entourent et de raconter à leur manière l'Histoire en marche. «Jamais on ne sonde l'avis des enfants sur l'actualité !» «Les médias privilégient et transmettent la plupart du temps le point de vue des adultes sur les évènements, qui agitent le monde. Jamais on ne sonde l'avis des enfants sur l'actualité, qui pourtant les concerne eux aussi pleinement. En Tunisie, notre objectif consiste à laisser les enfants s'exprimer sur ce qui s'est passé pendant et après la révolution du 14 janvier, mais aussi sur des thématiques de leur choix, liées à la pauvreté et la richesse, les inégalités entre les hommes et les femmes, le travail des enfants...», affirme Giacomo Pirozzi. C'est sur les hauteurs boisées de la ville du Kef, au nord-ouest de la Tunisie, dans les murs du Centre intégré pour la jeunesse et l'enfance, que s'est déroulé le workshop de photo organisé par le bureau de l'Unicef Tunis en partenariat avec le ministère des Affaires de le Femme et de la Famille et animé par G. Pirozzi et une équipe d'éducateurs tunisiens. L'atelier a réuni onze participants du Kef, cinq de Sakiet Sidi Youssef et deux d'Aïn Draham. Agés de 10 à 16 ans, la plupart font partie des pensionnaires de ce centre (ex-village des enfants de Bourguiba), qui accueille les enfants les plus vulnérables de la région. Tous viennent de milieux économiquement démunis et de familles fragilisées par la disparition d'un parent, son emprisonnement, son inactivité face à une maladie chronique ou par un divorce entraînant une rupture définitive avec l'enfant. Pendant la première journée et demie, le maître-photographe a inculqué aux petits les règles de base pour capter des photos expressives et belles. Il insista sur la position du photographe par rapport à son sujet, sur la direction et la quantité de la lumière qui doit imprégner une image, sa composition, ses contrastes de couleurs, son esthétique, son cadrage, son message... Mais aussi sur l'éthique qui doit accompagner la prise de photo : «On ne vole pas une image d'un homme ou d'une femme, on la demande !». Il précise : «Nous ne ferons pas de reportages touristiques. Une image doit porter en elle une idée, une profondeur, une émotion». Des images, des histoires Giacomo Pirozzi s'est servi de ses propres photos prises lors d'autres workshops avec les enfants au Pakistan, en Palestine et en Libye pour montrer aux jeunes Tunisiens à quel point un cliché peut raconter, grâce à des techniques simples croisées à un moment de réflexion, une histoire dans ses plus menus détails. Le principe semble avoir été bien assimilé par les photographes en herbe, qui se sont rapidement divisés en quatre groupes pour travailler sur des thèmes sociaux : la mendicité, la vieillesse en détresse, le chômage, la drogue, les maisons menaçant ruine, le patrimoine et les graffitis de la révolution. Envoyés en mission artistique dans la ville, ses quartiers populaires, sa médina historique et sa zone rurale, les enfants ont passé une journée entière à s'exercer à l'art du reportage. Malgré la canicule de ce mercredi 12 septembre et le refus de certains personnages intéressants rencontrés dans les rues du Kef de se faire tirer le portrait, à aucun moment les petits photographes en herbe n'ont connu une baisse d'énergie, ni d'enthousiasme ! Mohamed, 14 ans, perd petit à petit sa timidité en interpellant dans le marché ses sujets et en discutant avec eux. Ahmed, 11 ans, en situation d'échec scolaire à cause de ses fugues répétées, oublie, le temps de la formation, sa cleptomanie en se concentrant sur les petits mendiants du Souk Libya. Chahir, 16 ans, se révèle un grand pro en prenant tout son temps lors de la capture d'images. Hana, 14 ans, en axant son travail sur les graffitis, découvre pour la première fois à quel point les traces de la révolution tunisienne imprègnent encore les murs de la ville. Rayen, 11 ans, montre le portrait qu'il a pris à l'une des dames du Centre des personnes âgées du Kef, le baiser fougueux qu'il reçoit le touche jusqu'aux larmes. La photo se révèle également pour les enfants comme un précieux outil pour nouer des liens, établir un échange, tisser les prémices d'une amitié... Une étonnante moisson de clichés Le maître- photographe est satisfait par la moisson d'images avec laquelle les enfants sont rentrés : «Ils ont appliqué beaucoup des enseignements que je leur ai inculqués. Et puis dans chacun de ces groupes il y a toujours quelqu'un qui a un plus par rapport aux autres. Quelque chose d'inné : un œil, un regard !». La formation s'achève avec l'élection du meilleur photographe, de la meilleure photo, de la photo la plus esthétique et de l'image la plus amusante. Dans une ambiance de fin de workshop où les larmes se mêlent aux rires, des attestations de stages ont été distribuées aux participants, le dernier jour, par Maria Luisa Fornara, la représentante de l'Unicef à Tunis. «Le projet Eye See démontre qu'au-delà des classes sociales, tout enfant, s'il bénéficie d'une attention et d'un environnement adéquats, est créatif. Les clichés des petits du Kef en sont la preuve la plus évidente», affirme Maria Luisa Fornara. La représentante de l'Unicef semble très satisfaite de cette expérience, qui dit-elle «s'aligne sur l'un des principes de la Convention relative aux droits de l'enfant, celui qui incite les petits du monde à s'exprimer librement». Les photos des enfants seront à l'origine de deux autres évènements : une exposition itinérante, qui sera organisée le mois de novembre prochain, et la publication d'un album d'images. D'autre part, dix-sept appareils photos et des ordinateurs ont été offerts par le sponsor officiel de l'opération aux trois centres intégrés pour la jeunesse et l'enfance du Nord-Ouest. Les enfants pourront ainsi continuer pendant longtemps à s'exercer à l'art de conjuguer la lumière à des images étonnantes d'originalité et de vie...