La priorité doit être accordée aux dossiers de la compensation et des salaires, en plus des secteurs sinistrés Le coût de la transition économique, deux ans après la révolution, a atteint 14% du PIB, soit une perte de croissance de 7,5%, en 2012, et de 6,5%, en 2011, a avancé M. Mustapha Kamel Nabli, ex-gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT). Ce coût est extrêmement élevé par rapport à ce qui est prévu, a-t-il estimé, au cours d'une conférence-débat sur le thème «La Tunisie deux ans après la révolution, bilan et perspectives», organisée, jeudi soir, par l'Association des économistes tunisiens (Asectu). Ces pertes de croissance sont dues essentiellement aux perturbations sociales et à la baisse de la croissance des secteurs sinistrés, tels que les mines et phosphates, l'extraction du pétrole, le tourisme et le transport (-17,3% en 2011). Ces secteurs, qui représentent 19% du PIB selon M. Nabli, ont connu en 2012 une reprise timide de l'ordre de 5,5%. Pour le reste des secteurs (agriculture, communication, services), qui représentent 81% du PIB, il a fait savoir que ces derniers ont continué à croître en 2011 (+2,3%) et 2012 (+3,1%), grâce à la croissance de la demande de consommation. Pour M. Nabli, cette augmentation de la demande de consommation a permis de limiter les dégâts en matière de croissance économique. En 2011, la demande totale de consommation a crû de 4,6% en 2011 (+6,3% public et +4,2% privé), a-t-il précisé. Sur les trois composantes principales de la croissance (consommation, investissement et exportations), deux sont en chute, selon ses dires, soit les exportations (-4,3%) et les investissements (-12,6%). En 2012, une légère reprise de 8% a été enregistrée au niveau des investissements, notamment dans les secteurs non sinistrés des exportations (+3,9%) et de la consommation (+4,4%). Toutefois, en dépit de l'impact positif de la politique de relance de la consommation et, partant, ses répercussions sur la croissance économique, les marges de manœuvre budgétaire et monétaire de l'Etat sont épuisées, selon M. Nabli. Le déficit budgétaire a atteint en 2012 8,4%, compte non tenu des dons, privatisations et confiscations, alors que les chiffres officiels, d'après M. Nabli, révèlent un taux de 6,67%. Ce taux est calculé hors privatisations et dons, tout en incorporant les recettes des confiscations, a-t-il précisé. Les chances de la Tunisie pour rebondir S'agissant de l'emploi, l'ex-gouverneur de la BCT a indiqué que sur les 85 000 emplois créés, en 2012, 40 000 l'ont été dans le secteur informel. Les données officielles publiées révèlent 100 000 emplois créés en 2012. Sur ce point, il a appelé l'Institut national de la statistique (INS) «à mieux présenter et expliquer ses résultats, afin de ne pas induire en erreur l'analyse économique». La Tunisie a des chances, aujourd'hui, de pouvoir rebondir et sortir de la crise qu'elle traverse, pourvu «qu'elle prenne rapidement des mesures à même de rétablir la confiance et la stabilité sécuritaire et politique», a, d'autre part, estimé M. Mustapha Kamel Nabli. «Si rien n'est fait à temps, le pays risque de se trouver soit dans une situation de crise de paiements extérieurs, de finances publiques ou du secteur bancaire», a-t-il averti. Répondant à la question «quel avenir pour la Tunisie, deux ans après la révolution?», M. Nabli a indiqué que la priorité doit être accordée aux dossiers de la compensation et des salaires, en plus de la relance des «secteurs sinistrés, à l'instar du transport et du tourisme». Au sujet des dépenses de compensation, estimées à 4.200 millions de dinars (MD), dans le cadre du budget de l'Etat 2013, l'expert a indiqué que la solution réside en l'orientation des subventions vers les catégories défavorisées, à travers la mise en place d'un programme de subvention ciblé. Selon l'Institut national de la statistique (INS), les pauvres bénéficient uniquement de 9,2% du total des subventions des produits de base, contre 60,5% pour la classe moyenne et 7,5% pour la classe aisée. Au vu de la flambée des cours des hydrocarbures sur les marchés internationaux, les dépenses de compensation sont appelées à croître pour atteindre 5.500 MD, en 2013, avait indiqué M. Ridha Saïdi, ministre chargé des affaires économiques. En ce qui concerne les salaires, M. Nabli a souligné la nécessité d'aboutir à un consensus national sur la question, mettant en garde contre l'impact des augmentations salariales, avec pour corollaire une croissance de la consommation, sur l'accroissement de l'inflation (5,8% février 2013), et ce, en l'absence d'une production suffisante. «On doit gérer au mieux ces augmentations, sinon on va continuer à jeter de l'huile sur le feu», a-t-il dit. Pour M. Mohamed Ben Mahmoud, expert économique, le risque de se trouver, en 2013, dans une situation de crise de paiements extérieurs et de finances publiques est écarté, par contre la Tunisie pourrait être confrontée à une crise bancaire en cette année, au vu des problèmes structurels auxquels le secteur fait face. Moody's avait abaissé, en février 2013, la note de la BCT de BAA3 à BA1. Lors de la même période, la note de la BCT avait été également réduite par l'agence américaine Standard and Poor's au même niveau que celle de la note souveraine de la Tunisie, soit BB-.