Le Palais Ennejma Ezzahra était archicomble vendredi dernier. Un public composé de mélomanes hétéroclites est venu assister à la soirée lyrique et poétique organisée par l'ambassade d'Autriche en collaboration avec le Centre des musiques arabes et méditerranéennes, en hommage au grand musicien Joseph Haydn et au grand poète tunisien Abou Al Kacem Chebbi. Un spectacle qui se voulait une rencontre intemporelle entre la musique et la poésie. Conçu et réalisé par la comédienne autrichienne installée depuis longtemps en Tunisie, Paula Kraft, avec la collaboration du pianiste concertiste tunisien Bassam Makni, le spectacle consiste à revisiter l'œuvre d' Abou Al Kacem Chebbi sur fond de récital de piano des œuvres de J.Haydn. Le poète de l'amour et de la révolution Figure emblématique de la poésie tunisienne, Abou Al Kacem Chebbi est né en février 1909 à Tozeur (sud-est de la Tunisie). Son père qui était juge n'a résidé que peu de temps dans le Djérid, ce qui a fait que son fils a pu ainsi le suivre dans tous ses déplacements à travers tout le territoire tunisien. Ainsi, dès son jeune âge, il a pu connaître toutes les régions de son pays et s'identifier à son peuple. A l'âge de onze ans, il est inscrit à la Zitouna et en 1928, il obtient le diplôme du «Attatoui» l'équivalent du bac. Ensuite, il poursuit des études supérieures à l'Ecole supérieure de Droit et obtient en 1930 le diplôme de Droit. Le 1er février 1929 il donna sa fameuse conférence qu'il éditera plus tard «L'imagination poétique chez les Arabes « (Tunis, 1929).Le poète Chebbi mourut le 9 octobre 1934 à l'hôpital Habib-Thameur à Tunis après une longue maladie. Paula Kraft a mis beaucoup d'âme et de cœur dans la restitution des principales étapes de la vie du poète depuis l'enfance, en passant par les moments de gloire, de chagrin, sa maladie et enfin sa mort, illustrés sur des toiles ou par des dessins. Elle nous a fait la lecture de ses poèmes traduits en français où il chante l'amour et la nature, sa grande source d'inspiration, qui, à l'image du poète, est tantôt douce et sereine, tantôt déchaînée, insoumise. Il est l'un des rares poètes universels à défier l'impossible. Sa poésie refuse le désespoir et prône la volonté de vivre. C'est le poète de la modernité, à la fois romantique et révolté. Il interpelle le peuple pour qu'il se libère du joug des tyrans et vive digne: La volonté de vivre Lorsqu'un jour le peuple veut vivre, Force est pour le Destin de répondre, Force est pour les ténèbres de se dissiper, Force est pour les chaînes de se briser. Avec fracas, le vent souffle dans les ravins, au sommet des montagnes et sous les arbres Les notes poétiques de Haydn La reprise de quelques partitions musicales de l'œuvre du grand musicien Joseph Haydn par le pianiste Bassam Makni a relevé la lecture des poèmes. Pouvait-on aspirer dans ce spectacle à une meilleure composition? La grandeur de la nature, le déchaînement des orages, les mots et les notes se mêlent et dégagent un souffle langoureux. A fur et à mesure que les notes musicales de Haydn habillaient les vers de Chebbi, c'est une fresque passionnante, pleine de vitalité, enchanteresse qui prend forme. En effet, en écoutant cette musique de Haydn, on a l'impression de l'avoir déjà lue dans la poésie de Chebbi; pourtant il s'agit de deux auteurs de bords différents séparés par les époques et le temps mais réunis par leur génie créateur d'une dimension universelle. Tous deux se sont inspirés de la foi en un Dieu Miséricordieux que l'homme vertueux reconnaîtra. Mais pour mériter la conviction de la primauté divine, il lui faudra vivre d'abord dans la dignité et ne jamais renoncer à sa liberté : «Je suis un poète. Or, le poète doit être libre tel un oiseau dans les bois, une fleur dans les champs, une vague dans l'océan.» (Abou Al Kacem Chebbi). Ce fut un spectacle haut en couleur et riche en enseignements. Le public était ravi !