PEKIN (Reuters) — Le dirigeant chinois Deng Xiaoping, père des réformes économiques, jugeait inévitable que le gouvernement "fasse couler un peu de sang" pour mettre fin au mouvement étudiant de 1989, selon les mémoires de l'ancien Premier ministre Li Peng. Le rôle moteur de Deng dans l'écrasement du "Printemps de Pékin", notamment dans la sanglante intervention de l'armée contre les manifestants de la place Tiananmen qui a fait des centaines de morts le 4 juin 1989 à Pékin, reste un sujet tabou en Chine 21 ans après les faits. "Les mesures découlant de la loi martiale doivent être appliquées avec calme, nous devons limiter les dégâts mais nous devons être prêts à faire couler un peu de sang", avait déclaré Deng Xiaoping à plusieurs dirigeants chinois le 19 mai, selon les mémoires de Li Peng, lui-même partisan de la ligne dure envers les manifestants. "Si l'imposition de la loi martiale est une erreur, j'en assume le premier la responsabilité", avait ajouté Deng. Li Peng, aujourd'hui âgé de 81 ans, a été Premier ministre de 1987 à 1998. Deng est mort il y a treize ans à l'âge de 92 ans. Selon certains témoignages, Deng, déjà âgé et fatigué en 1989, s'est laissé influencer par ses conseillers afin qu'il ne cède rien aux manifestants. Mais les mémoires de Li contredisent cette thèse et écornent l'image de Deng, considéré comme le père des réformes qui ont permis le décollage économique de la Chine. Inévitable L'ouvrage de Li a été interdit de publication par les autorités de Pékin mais sortira ce mois-ci à Hong Kong et l'éditeur, Bao Pu, en a envoyé une copie à Reuters. "Deng était le dirigeant incontesté, celui qui prenait en dernier lieu les décisions", a expliqué Bao, lui-même fils de Bao Tong, un ancien haut responsable communiste chassé par Deng et incarcéré un moment pour ses sympathies avec le mouvement pro-démocratie. "C'est Deng qui était aux manettes, du début à la fin." Ce témoignage souligne l'intransigeance de Deng et rappelle que l'écrasement du mouvement de protestation, qu'il jugeait inévitable, a permis à la Chine de connaître des années de croissance économique sans pareil. Il traduit la conviction du gouvernement chinois que toute attaque portée contre lui est une menace pour l'avenir même du pays. "Si l'on n'avait pas combattu résolument et comme il convenait les désordres politiques, la stabilité et la prospérité d'aujourd'hui n'auraient pas été possibles", affirmait encore en 2001 l'actuel Chef de l'Etat, Hu Jintao, selon les mémoires de Li. Dans sa postface rédigée en 2004, Li explique vouloir aider par son témoignage les autorités chinoises à prévenir une nouvelle vague de contestation. Il se prononce pour l'adoption de "mesures décisives, fondées sur le droit, pour écraser dans l'œuf tout risque d'agitation". L'éditeur Bao Pu a publié l'an dernier les mémoires de Zhao Ziyang, qui était en 1989 secrétaire général du Parti communiste. Accusé alors de faiblesse face aux manifestants, Zhao avait été relevé de ses fonctions.