Le jugement rendu, mardi, par le Tribunal de première instance de Tunis condamnant les vingt accusés dans l'attaque contre l'ambassade américaine le 14 septembre 2012 à deux ans de prison avec sursis ne cesse de faire couler de l'encre et susciter les commentaires des uns et les contre-déclarations des autres. Le verdict est-il léger par rapport à l'ampleur de la gravité de l'affaire et des violences perpétrées en ce vendredi que plusieurs ont qualifié, à l'époque, de «vendredi noir» ? L'ambassade US à Tunis n'y va pas par quatre chemins pour estimer, dans un communiqué dont une copie est parvenue à La Presse, que «le verdict est un échec, puisqu'il ne correspond pas à la gravité des dégâts et aux violences commises». Les Américains vont plus loin et appellent «à une enquête approfondie contre les instigateurs toujours en liberté qui doivent être traduits en justice». Ils somment le gouvernement tunisien de «démontrer qu'il n'y a aucune tolérance envers ceux qui encouragent et utilisent la violence pour atteindre leurs objectifs». Ils rappellent également au gouvernement tunisien son devoir «de protéger les personnes et les missions diplomatiques présentes en Tunisie conformément au droit international». En toute indépendance et neutralité Un rappel à l'ordre et des leçons de gouvernance qui ont l'air d'une ingérence claire et déclarée dans les affaires intérieures de la Tunisie. Le ministère de la Justice donne l'impression, à travers sa réaction, qu'il rejette les commentaires de l'ambassade américaine. Le ministère considère, en effet, que «le tribunal a rendu son jugement en toute indépendance et liberté dans la mesure où ni le ministère de la Justice ni le gouvernement ne peuvent intervenir dans les décisions de la justice». Du côté de la profession et des instances représentant les magistrats ou suivant l'exercice de leurs fonctions en toute liberté et indépendance, le ton est encore plus ferme et plus appuyé. Aussi, l'Observatoire tunisien pour l'indépendance de la justice qualifie-t-il les déclarations de l'ambassade américaine «d'atteinte à la souveraineté nationale, eu égard au fait que la justice est l'un des fondements de cette souveraineté». Dans une déclaration signée par Ahmed Rahmouni, président de l'Observatoire, on lit notamment : «L'Observatoire considère que l'accusation du tribunal de laxisme et de tolérance à l'égard des prévenus constitue une forme de pression intolérable sur la justice lors de l'examen de l'affaire en appel, ce qui affaiblirait les garanties des prévenus à un jugement équitable». L'Observatoire s'étonne de l'absence «d'une réaction officielle de la part du ministère des Affaires étrangères ou de celui de la Justice à l'encontre de la déclaration de l'ambassade américaine accusant la justice et le gouvernement de tolérance envers ceux qui recourent à la violence ou incitent à y recourir». Qu'ils balayent plutôt devant leurs portes Il appelle, en conclusion, toutes les parties concernées «à respecter les normes internationales relatives à l'indépendance de la magistrature, à sa défense et à sa protection». Pour sa part, Néjib Ben Youssef, président de la section régionale des avocats à Tunis et membre du conseil national de l'Ordre des avocats, est encore plus tranchant : «L'ambassade américaine est libre de penser tout ce qu'elle veut du verdict prononcé. Mais son appel à une enquête approfondie sur l'affaire est inacceptable et constitue à la fois une ingérence intolérable dans la marche de la justice tunisienne et une atteinte à notre souveraineté nationale. Aucune partie n'a le droit de dicter aux magistrats tunisiens sa volonté ou de leur donner des leçons. Les Américains devraient plutôt balayer devant leurs portes surtout qu'ils sont l'objet de présomptions graves quant à leur respect des libertés et des droits de l'Homme».