La grève des imams prévue le jour de l'Aïd est finalement annulée Le syndicat des cadres religieux, structure autonome de l'Ugtt, a lancé avant-hier un appel à la grève des imams le jour de l'Aïd, prévu le 14 ou le 15 octobre. Appel qui a eu un formidable retentissement chez une bonne partie de la population. Etant donné que même pour les non-pratiquants, — que dire des autres —, se rendre à la mosquée le jour de cette grande fête dans le calendrier hégirien, où la même prière se déroule à la Mecque et partout dans le monde, participe à un rituel séculaire que les générations perpétuent dans beaucoup de familles tunisiennes. Annoncer que cette chaîne autant religieuse que coutumière sera rompue dans les mosquées, par l'effet de cette instruction donnée aux imams de ne pas conduire la prière, a tôt fait de perturber l'opinion, déjà fortement éprouvée sans cela. Quoi qu'il en soit, l'idée de la grève a fini par être abandonnée. L'effet d'annonce escompté a eu lieu, nous dit-on. C'est le syndicat des cadres religieux, lequel, selon son secrétaire général, Fadhel Achour, comprend près de 7 mille affiliés sur 16 mille environ, qui a décidé de taper là où ça fait mal. Visiblement le coup est réussi. Les médias se sont emparés de la nouvelle de la grève pour la relayer massivement. Le ministère des Affaires religieuses est monté au créneau pour condamner cet appel, ainsi que quelques têtes d'affiche du milieu religieux. Mais non pour les mêmes raisons. Les motivations de la grève ? Nous voulons par ce cri d'alarme alerter l'opinion publique sur les dérives qui frappent le champ religieux depuis deux ans, relève le secrétaire général, les mosquées transformées en dépôts d'armes et aires d'encadrement du terrorisme, les prédicateurs qui montent les Tunisiens les uns contres les autres, accuse-t-il encore. Le syndicat ne compte pas s'en arrêter là, il prévoit de porter plainte contre le ministère de tutelle pour avoir abandonné plus de 200 mosquées aux salafistes et protégé les imams à l'origine de la Fatwa encourageant le « jihad nikah » (notre édition d'hier). Le ministère des Affaires religieuses, qui conteste par la voix de son conseiller Sadok Arfoui, la représentativité même de Fadhel Achour du corps des imams, rejette en bloc toutes les accusations, en défiant le syndicat de trouver un seul imam nommé par le ministère qui ait émis une telle Fatwa ou qui entretienne un rapport de près ou de loin avec les réseaux terroristes. Le président de l'association Dar Al Hadith Ezeitouni, Farid El Béji, est lui aussi contre la grève. Il y a d'autres moyens de protestation, que je pratique tous les jours, a-t-il rappelé. Je suis moi-même à l'opposé de la politique religieuse entreprise par ce gouvernement depuis son arrivée. Mais ne pas conduire la prière des fidèles le jour de l'Aïd est un sacrilège. Il faut choisir d'autres moyens de contestation civile, comme s'exprimer dans les médias, tenter d'influer sur les décisions politiques. Mais imaginez, a-t-il comparé, les militaires quitter leurs postes parce qu'ils sont en grève et les forces de l'ordre les suivre, ce serait la catastrophe pour tous et l'écroulement de l'Etat. Nous c'est pareil, le service religieux représente une composante fondamentale du service public, a-t-il développé. Un conflit aux racines profondes Au final, Fadhel Achour nous déclare, rassurant, que les imams seront à leurs postes le jour de l'Aïd, pour diriger les prières des fidèles. Il n'a pas manqué de souhaiter « bonne fête à tous ». Avant de lancer un appel aux gouvernants pour remédier à ce qu'il a appelé la profonde tristesse que vivent les Tunisiens, « qui ne peuvent plus se permettre de célébrer leurs fêtes comme il se doit, d'abord à cause de l'indigence, ensuite de la situation désastreuse que vit la Tunisie », a-t-il regretté. Néanmoins, ce sursaut d'un corps de métier qui représente une pierre angulaire dans l'édifice social et politique de la société tunisienne est un signe qui ne trompe pas de la gravité des conflits qui traversent en profondeur cette société. Par le passé, la grande mosquée et université Zeitouna avait représenté le fer de lance d'un mouvement de contestation d'envergure qui s'est insurgé contre le colonisateur. Le combat à l'heure actuelle est différent. Il est engagé entre deux composantes de la même société, divisées par deux lectures des textes sacrés, deux lignes idéologiques, deux visions de la société et du monde. Une qui tient ses racines du wahhabisme, une lecture radicalisée de la religion, importée d'ailleurs ; et une locale qui s'appuie sur le malékisme associé à l'imprenable sanctuaire que représente la Zeitouna. Ce lieu de culte emblématique de l'identité religieuse tunisienne, qui prône un islam ouvert et tolérant. C'est là que réside le fond du problème.