Les autorités compétentes feraient bien de relever le plafond des dettes à apurer de 5 à 10 mille dinars et d'autoriser les banques à opérer une consolidation à l'amiable avec le reste des agriculteurs endettés. «L'agriculture est la mère de tous les arts : lorsqu'elle est bien conduite, tous les autres arts prospèrent ; mais lorsqu'elle est négligée, tous les autres arts déclinent, sur terre comme sur mer», disait le philosophe grec Xénophon. Pour l'avoir négligé, la Tunisie importe, aujourd'hui, bon nombre de denrées alimentaires et semble être encore incapable d'assurer sa sécurité alimentaire. Pire, alors que pays et nations ont entrepris une course contre la montre pour se mettre à la page des exigences d'un monde où l'agriculture est de plus en plus un enjeu stratégique de taille, il semble que l'inertie soit à son apogée du côté de ces nouveaux gouvernants qui palabrent plus qu'ils ne travaillent. Rien qu'une simple lecture dans le projet du budget de l'Etat 2014 renseigne sur la politique adoptée pour ce qui est du secteur agricole. L'on parle, dans ce sens, d'une «mesurette» consistant à annuler les crédits de 75 mille agriculteurs et pêcheurs, dont le montant ne dépasse pas 5.000 dinars, pour chaque emprunt. De la poudre aux yeux, quand on sait que 39% des agriculteurs endettés ont des dettes inférieures ou égales à 2.000 dinars et 78 % ont des dettes inférieures à 5.000 dinars. Leith Ben Becher, président du Syndicat des agriculteurs de Tunisie (Synagri), n'y va pas par quatre chemins, mettant l'accent sur les limites de ce «supposé acte salvateur». Pour lui, une telle mesure donne à lire que le projet du budget de l'Etat 2014, dans le volet consacré à l'endettement du secteur agricole, manque de vision et de courage. C'est que les solutions préconisées pour résoudre la question de l'endettement agricole s'annoncent insuffisantes, dès lors qu'au lieu de s'attaquer à l'origine des problèmes, l'on se contente de quelques «agissements hypnotiques » qui ne peuvent en aucun cas changer grand-chose. Des maux multiples et divers Cette attitude a, en effet, pour corollaire le diagnostic élaboré dans l'étude récemment faite par la Banque mondiale (BM), l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et l'Agence française de développement (AFD). Lequel diagnostic note que les maux de l'agriculture tunisienne sont à la fois multiples et divers. S'inscrivent en tête «la faible marge bénéficiaire du secteur agricole, dont les termes de l'échange sont en baisse, l'endettement d'environ 120.000 petits exploitants, qui sont exclus de tout emprunt formel supplémentaire en raison de leurs antécédents avec la centrale des risques (CDR), les sécheresses fréquentes, contre lesquelles aucune mesure de protection ou d'atténuation efficace n'a été identifiée ou mise en œuvre et un secteur des assurances qui n'offre de protection que contre les incendies et la grêle. S'y ajoutent consécutivement un mécanisme de garantie agricole mal conçu, qui n'incite pas les institutions financières à procéder au recouvrement de leurs créances, l'absence de substituts de garanties par lesquels les prêts peuvent être sécurisés, un secteur coopératif dont les performances n'ont pas répondu aux attentes des banques ou même de ses membres, la nature fragmentée et la petite taille des exploitations agricoles et l'absence d'un marché d'occasion des équipements agricoles, sans lequel le crédit-bail ne peut être développé comme une stratégie alternative de financement». Pour un statut de la profession Cette pluralité des difficultés auxquelles fait face le secteur agricole nécessite alors, selon le syndicaliste, une action en profondeur, donc des réformes structurelles et non «des coups d'embellie» qui ne font qu'asseoir une distinction populiste entre petits et grands agriculteurs, si grands agriculteurs il y a, avec l'effritement des marges et l'érosion de la rentabilité. Tel que l'entend Leith Ben Becher, les réformes structurelles et salvatrices pour un secteur agricole souffrant d'une grave désarticulation de ses tissus productifs ne peuvent être conçues, en dehors d'un plan d'action, où est bien défini le statut de la profession et où sont liés l'endettement accumulé depuis des années et les règles de financement de l'agriculture. Des règles qu'il faut absolument revoir, à commencer par les taux d'intérêt encore trop élevés, pour ensuite se pencher sur d'autres questions, telles que l'absence de mesures compensatoires susceptibles de soutenir les agriculteurs subissant l'envolée des coûts de production. Voilà donc certaines grandes lignes qu'il faut suivre en planifiant un programme de réformes sur le moyen et le long terme. S'agissant du court terme, le président du Synagri préconise d'élever le plafond des dettes à apurer de 5 mille à 10 mille dinars et d'élargir cette démarche pour qu'elle inclue le reste des agriculteurs endettés, pour une consolidation à l'amiable avec les banques. Ce, en réalisant que les mêmes causes génèrent les mêmes effets.