On la connaît psychanalyste, professeure de littérature arabe, directrice de la revue «Al Awane», auteure de plusieurs ouvrages*. Mais son CV n'a toujours pas les mots pour contenir le combat assidu et inflexible qu'elle mène sur FB. «Cette nouvelle me donne davantage confiance dans l'écriture et foi dans le rôle de l'intellectuel», a écrit Raja Ben Slama, ce 21 décembre sur son mur. Le statut accompagnait la publication de la liste des 100 femmes arabes les plus influentes pour l'année 2013, où elle occupe la 37e place. Un hommage bien loin d'être le fruit du hasard. Des académiciens, penseurs et activistes qui ont fait des statuts facebook l'expression d'une opinion instantanée et d'un engagement de proximité, Raja Ben Slama est la plus réactive et la plus ponctuelle. De jour, de nuit, de week-end et de fête, de périodes de faste comme de dépression, elle ne rate pas une actualité à disséquer, un écart politicien à dénoncer. Avec une lucidité, une sincérité, une cohérence et une pertinence rares sur les murs qu'elle habite comme un métier. Son opposition sans équivoque à l'ambivalence des islamistes et leur inaptitude foncière à la démocratie lui vaudra aussitôt le surnom d'«Oumou Jahl». Sa dénonciation de la manœuvre de falsification du rapporteur général de la Constitution, Habib Khédher, occasionnera le mandat d'amener lancé à son encontre le 22 avril 2013, pour «dénonciation calomnieuse» en vertu d'une loi caduque, abrogée après le 14 janvier. Pour ses nombreux défenseurs, Raja Ben Slama est en réalité poursuivie non seulement pour sa liberté de penser mais surtout à cause de l'audience importante que rencontrent ses critiques anti-islamistes et ses arguments fédérateurs sur le réseau. Raja Ben Slama n'est plus une intellectuelle retranchée, à la voix frêle ; c'est une leader d'opinion à la tête d'une communauté de plusieurs milliers d'amis et autant de partages dans une langue arabe proche et accessible. Une redoutable reine du réseau. Aussi aimée que honnie. Ce 24 décembre et après plusieurs mois de procès, Raja Ben Slama saluait, enfin, sur son mur «le triomphe de la liberté d'expression et de l'indépendance de la justice» à l'occasion du non-lieu prononcé la matinée, «même si, précise-t-elle, le rapporteur général de la Constitution menace déjà d'intenter un appel». Les poursuites judiciaires ne constituent pas pour autant la seule sanction aux positions audacieuses de l'intellectuelle communautaire. Les commentaires outrageux, les insultes, les campagnes assassines des islamistes redoublent chaque jour de cadence et d'imagination. Tôt après le 14 janvier, elle témoignait déjà à propos du discours de la haine et de la violence islamistes : «Les menaces que je reçois régulièrement sur mon mur sont certes virtuelles mais dévastatrices. Imaginez devoir vous réveiller au quotidien devant l'image de la tombe qu'on creuse pour vous ! » En 2011, Raja Ben Slama n'imaginait surtout pas l'impact irréductible de sa voix par-delà le danger devenu réel. En 2013, son nom a figuré sur la liste des personnalités menacées d'attentats. Que c'est un dur métier que d'être facebooker opinion leader. * «Les Mots du monde : Masculin–féminin : Pour un dialogue entre les cultures», collectif sous la direction de Nadia Tazi, Paris, La Découverte, 2004. * «L'homme des masses», Dar Tali'a, Beyrouth 2008 * «Edifice du virilisme : essais sur le masculin et le féminin», Damas, Petra 2005, Tunis 2006. * Personnage antéislamique célèbre pour son adversité envers le message du prophète.