Pressé par le temps et se trouvant dans l'obligation de respecter à tout prix son propre calendrier électoral, Chafik Sarsar, président de l'Isie, multiplie les initiatives en s'octroyant des compétences que la loi ne lui accorde pas L'Instance supérieure indépendante des élections (Isie) s'est-elle mise de son propre gré dans un pétrin ou dans un imbroglio juridique et constitutionnel d'où il lui sera très difficile de sortir, en décidant de ne plus exiger des candidats aux prochaines élections législatives le bulletin n°3 comportant les antécédents judiciaires du candidat en question ? En plus clair, en appliquant à la lettre la loi électorale de 2014 qui n'est pas sans reproche, l'Isie a-t-elle ouvert la porte à tous les criminels pour être à la fois électeurs et candidats à la future Assemblée des députés du peuple ? Et les associations spécialisées dans l'observation du processus électoral, certains partis politiques se disant lésés par cette décision et d'autres dispositions de la loi électorale les mettant hors course pour les palais de Carthage et du Bardo, ainsi que des juristes de dénoncer la décision de l'Isie et de lui reprocher «d'agir dans la précipitation puisque se trouvant obligée de terminer sa mission à tout prix, sous la pression de certaines parties qui font tout pour que les législatives et la présidentielle, soient faites sur mesure». L'Isie n'a pas à légiférer Le Front de rectification du processus électoral, composé de près de 37 partis politiques récusant les conditions de candidature à la présidentielle et aux législatives telles que prévues dans la loi électorale, vient d'intenter, lundi 18 août, un recours en référé devant le Tribunal administratif lui demandant de surseoir à l'application des décisions de l'Isie relatives à la recevabilité des dossiers de candidature aux deux rendez-vous électoraux. Abdelkader Zitouni, coordinateur du Front de rectification du processus électoral, confie à La Presse : «L'Isie a outrepassé les prérogatives qui lui sont attribuées par la loi portant sa création. L'Isie est tenue d'organiser et contrôler le déroulement des élections au plan de la logistique. Elle n'a pas à légiférer ou à inventer de nouvelles conditions ou à annuler d'autres dispositions. Ainsi nous rejetons catégoriquement la décision de ne plus exiger que les candidats à la députation produisent le bulletin de leurs antécédents judiciaires (bulletin n°3). Idem pour la décision de renoncer à ce que les attestations de parrainage aux candidats à l'élection présidentielle soient légalisées. Pour nous, toutes ces conditions visent à instaurer une nouvelle dictature, sous un couvert démocratique et soi-disant constitutionnel, alors que tout le monde sait que la loi électorale a été élaborée sous la pression de certains partis qui veulent reproduire à tout prix le scénario du 23 octobre 2011». Que fera le Front au cas où ses demandes seraient rejetées par le Tribunal administratif et que les élections se dérouleraient selon les normes fixées par l'Isie ? «Nous ne resterons pas les bras croisés. Nous créerons un parlement pour l'opposition. En attendant, nous allons contacter très prochainement l'Union européenne, le Parlement européen et l'ONU pour les sensibiliser à nos griefs. D'autre part, nous lancerons un appel au peuple tunisien pour qu'il s'abstienne lors des élections. Moi personnellement, je présenterai ma candidature à l'élection présidentielle en introduisant dans mon dossier deux documents : la demande de candidature et ma carte d'identités nationale, quitte à ce que ma candidature soit rejetée», conclut-il. Le bulletin n°3 n'est pas expressément mentionné dans la loi électorale Qu'en est-il de l'avis purement juridique à propos de l'annulation de la production du bulletin n°3 pour les candidats à la députation ? Amir Mahfoudh, expert en droit constitutionnel, répond à cette question : «Il existe un cadre juridique dans lequel s'opère l'exercice électoral. Ce cadre comporte la Constitution du 27 janvier 2014, la petite Constitution, la loi portant création de l'Isie, la loi électorale de 2014, la loi sur le calendrier électoral, l'arrêté républicain de convocation des électeurs, le décret gouvernemental relatif au plafonnement du financement public de la campagnee électorale que le chef du gouvernement n'a pas encore publié et enfin la jurisprudence. L'Isie doit respecter impérativement les conditions prévues par la Constitution et n'a pas à inventer de nouvelles règles. Or, il se trouve que le bulletin n°3 n'est mentionné ni dans la Constitution, ni dans la loi électorale». Et le Pr Mahfoudh d'ajouter que «cependant, la loi électorale stipule que pour être électeur et partant candidat, il ne faut pas avoir fait l'objet d'une sanction pénale le privant de ses droits civiques et politiques. Sauf que cela doit être expressément indiqué dans un jugement à part, d'où l'importance du bulletin n°3. En outre, en décidant de ne pas exiger le bulletin n°3, l'Isie oublie qu'un candidat élu au Palais du Bardo pourrait être destitué de son siège au cas où il s'avèrerait qu'il a fait l'objet d'une sanction pénale le privant justement de ses droits civiques et politiques». Reste une interrogation : l'Isie nage-t-elle dans la précipitation se trouvant dans l'obligation de terminer sa mission, à tout prix, selon les délais qu'elle s'est fixés elle-même ?