Par Abdelhamid GMATI Les urnes ont départagé les 27 candidats à l'élection présidentielle et donné un aperçu sur le poids électoral de chacun. Une majorité de Tunisiens qui avaient donné leur préférence au parti Nida Tounès aux législatives ont confirmé leur choix en accordant leurs voix au président de ce parti, Béji Caïd Essebsi. Et l'écart entre ce parti et son suivant, Ennahdha, s'est répété avec Moncef Marzouki, fortement plébiscité par les partisans islamistes. Donc, pas de majorité absolue et il y aura un second tour. En gros, tout s'est bien passé sans violence et sans accrocs notables. Il y a eu, évidemment, des dépassements et des incongruités comme cette séparation des hommes et des femmes dans certains bureaux de vote, mais, selon les observateurs, cela n'a pas d'incidence notable. On relèvera cependant que sur une liste des électeurs inscrits, soit 5.308.954, seulement 3.339.671 ont effectivement voté. Cela veut dire que près de 2 millions d'électeurs se sont abstenus. C'est en augmentation par rapport aux législatives. Il y a lieu de s'interroger sur les raisons de cette désaffection. Parmi les explications avancées par les uns et les autres, on en retiendra une, la plus importante. Une lecture de ce que les spécialistes appellent « géographie électorale », indique que les plus forts taux d'abstention se trouvent dans les régions de l'ouest et du sud. Pourquoi ? Les bureaux de vote étaient-ils mal situés, inaccessibles, inconnus, paresse, maladies... ? L'argument le plus plausible, confirmé par plusieurs déclarations, est que ces électeurs inscrits n'ont pas été suffisamment motivés et ont estimé que ces élections ne les concernaient pas. Certes, ces élections ont été présentées à profusion et ont fait l'objet de très nombreux débats dans tous les médias, y compris à l'étranger. De plus les candidats ont été présents sur le terrain et dans les médias, multipliant meetings, conférences de presse et déclarations. Alors ? C'est justement là que le bât blesse : les interventions des candidats et leurs discours étaient consacrés à des sujets qui ne concernaient pas ces électeurs. A quelques exceptions près, on n'a pas parlé de leurs problèmes, du chômage, du sous-développement de leurs régions, de leur pouvoir d'achat qui s'effrite, de leur avenir. En bref, on ne leur a pas donné d'espoir, ni de perspectives d'avenir. Leur sentiment a été qu'ils se sont exclus de ces élections et ils les ont boudées. On relèvera, à ce propos, un fait surprenant : les candidats qui se sont retirés de la course (Abderrahim Zouari, Mustapha Kamel Nabli, Noureddine Hached, Abderraouf Ayadi et Mohamed Hamdi) ont obtenu 2.000 votes ; ce qui semble indiquer que certains électeurs ont fait confiance à la personnalité des candidats, même retirés. Une façon d'exprimer leur désaffection. De fait, et notre journal en a rendu compte plusieurs fois, la campagne électorale de ce premier tour n'a pas été motivante : trop de propos haineux, trop d'injures, trop d'accusations, d'appels à la division, au régionalisme, trop d'exclusions. On aurait pu croire que les candidats plébiscités en tireraient des leçons. Mais avant même que la campagne électorale officielle du second tour ne soit lancée, les premières déclarations des candidats en lice et des membres de leurs partis n'ont pas changé. Moncef Marzouki affirme, sur un média étranger, que « la victoire de son adversaire Béji Caïd Essebsi au second tour pourrait conduire le pays vers l'instabilité », et il s'inquiète du retour de ce qu'il qualifie de «machine de l'ancien régime qui pourrait revenir en force avec la victoire d'Essebsi». Et on reproche à Béji Caïd Essebsi d'avoir dit que ceux qui ont voté pour son adversaire sont «les islamistes qui se sont rangés derrière Marzouki : les cadres d'Ennahdha, les membres d'un parti encore plus extrémiste (parlant d'Ettahrir sans le nommer explicitement), les salafistes jihadistes et les LPR. Tous des parties violentes». Les partisans de ces deux candidats tiennent également des discours de division exactement comme lors de la campagne précédente. Il est à espérer que ces préambules ne sont que des réactions émotionnelles aux résultats de ces élections et que les candidats consacreront leurs prochaines interventions à exposer leurs programmes, leurs propositions et s'attacheront à traiter des problèmes qui préoccupent le Tunisien. S'est-on rendu compte que cette présidentielle a été riche... en grèves ? Et cela dans plusieurs secteurs. Cela dénote un grand malaise social et les candidats seraient avisés de s'en préoccuper au lieu d'ergoter à propos d'un face-à-face complètement inutile s'il n'est proposé que dans le but de s'insulter et d'offrir le spectacle de « combat de béliers » où les ego s'exacerbent en une sorte de «combats de coqs ». Cela nous amène à paraphraser une déclaration d'un ancien président français : « La maison brûle et ils (nos candidats) regardent ailleurs ».