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Jabir Ibn Hayyan: Le «père de la chimie expérimentale»
Publié dans Leaders le 08 - 05 - 2024

Par Mohamed Jemal - De tous temps, l'Homme a cherché à comprendre les secrets du monde qui l'entoure. Il s'est trouvé en effet dans toutes les civilisations des esprits curieux, avides de comprendre ce qui se trame derrière tel ou tel phénomène, ce dernier pouvant être spontané ou provoque par lui-même. La chimie est née de l'observation et l'analyse minutieuses du feu qui été domestique à différents endroits de la planète par Homo erectus il y a près de 400 000 ans, et dont l'usage été développé par Homo sapiens qui est apparu en Afrique il y a (2 a 3)00 000 ans(1).
Comme toute autre science, je suppose, la chimie a connu des périodes de gloire au cours desquelles certains savants l'ont fait avancer considérablement, jusqu'à devenir l'une des sciences de base de la connaissance humaine, qui a, toutefois, la particularité de s'immiscer dans pratiquement tous les domaines de la vie. L'omniprésence de la chimie dans notre vie est inhérente à sa nature même qui fait d'elle une science qui intervient à chaque fois qu'il y a matière sous quelque nature et/ou forme que ce soit, sauf peut-être la forme atomique, dont l'étude fait plutôt partie de la chasse gardée de la Physique. Cette science s'intéresse non seulement à la composition de la matière, mais surtout à sa transformation avec ce que cela comporte comme conséquences, en particulier celles qui concernent l'Energie.
Plusieurs savants ont contribué à travers l'Histoire à faire avancer la chimie, toutefois sa conception en tant que Science Moderne s'est considérablement affirmée au cours des XVII-XVIIIème siècles grâce notamment à la contribution du physicien et chimiste irlandais Robert Boyle (1627-1691), suivi par le chimiste, économiste et philosophe français Antoine Lavoisier (1743-1794) qui a été entre autres à l'origine de la découverte de plusieurs produits courants. Lavoisier a également introduit la notion d'élément chimique et le concept de stœchiométrie de la réaction. Ce dernier, qui découle du principe général de conservation de la matière, impose à toute réaction, lorsqu'elle se produit, de conserver le même nombre d'atomes de chacun des éléments présents dans les produits de départ (appelés réactifs). La réaction apparaît ainsi comme étant un changement, en totalité ou en partie, du voisinage des atomes des éléments présents dans les réactifs. Mais ce changement n'est pas anodin, il s'accompagne en effet quasi-systématiquement d'une variation des paramètres physiques (température, pression, volume...) du milieu (appelé système) dans lequel il se produit. Il s'accompagne surtout d'une absorption ou d'un dégagement de chaleur (appelée énergie chimique). Le grand mérite de Lavoisier est d'avoir mis au point avec Pierre-Simon Laplace (1749-1827) le premier dispositif fiable, appelé calorimètre, destiné à déterminer la quantité d'énergie qui résulte de la réaction Chimique. Cette performance a été le point de départ d'une nouvelle branche de la chimie, à savoir la thermochimie qui, elle, a ouvert la voie à de nouveaux horizons pour la chimie (à suivre). L'ensemble des travaux de Lavoisier lui ont valu le titre honorifique de «Père de la Chimie Moderne».
L'ancêtre de la chimie est l'alchimie dont «il est impossible de fixer une origine, sauf à (la) faire coïncider avec l'origine du monde»(2). Toutefois, une certaine légende la fait remonter jusqu'en Chine, ou elle serait apparue des 4500 ans avant notre ère. Dans l'espace qui nous entoure, l'alchimie date de la période hellénistique où elle est apparue des «les premiers siècles de notre ère à Alexandrie (Egypte) qui était alors le principal centre intellectuel du bassin méditerranéen»(3). Elle gagna ensuite le monde Bizantin pour atterrir des le VIIème siècle dans le monde musulman ou elle s'est arabisée et ce sont ensuite les arabophones qui l'ont considérablement enrichie(3) et lui ont donné une rigueur nouvelle(4) puis, par l'intermédiaire de l'Espagne, l'ont introduite en occident ou elle se développa à partir du XIIème siècle. Quant à l'origine du mot «chimie», certains auteurs le font dériver du grec «chemeia» qui veut dire «fusion», qui se serait arabise par l'adjonction de l'article arabe «al». Pour d'autres par contre, outre l'égyptien et le grec, on donne une autre étymologie à ce mot en le faisant dériver du nom arabe 'al-kamiou' (الكمي) qui dérive du verbe 'kamae, yakmi' (كمى، يكمي) qui veut dire «garder secret», et la chimie serait «l'art du secret» ou «du mystérieux».
D'autres enfin soutiennent que le terme dérive du mot arabe kammia (كمية) qui veut dire quantité, ce qui ferait de la chimie «la science des quantités» et lui conférerait le caractère quantitatif quelques siècles avant sa "re"-découverte par Lavoisier. Quoiqu'il en soit, la source arabe du mot semble la plus largement admise et c'est elle qui a été du reste soutenue des le IXème siècle par le célèbre mathématicien arabophone al-Khawarizmi (780-850) dans son livre «les clés de la science» (كتاب مفاتيح العلوم)(5).
Dans le langage courant, on qualifie d'alchimique tout ce est à caractère approximatif et non rigoureux. Cette conception dévalorisante de la doctrine alchimique contraste avec la réalité, car l'alchimie a été au contraire «pendant de nombreux siècles l'une des formes rationnelles de la réflexion scientifique et philosophique sur la matière»(4). Le point de départ de l'alchimie est la réflexion sur les métaux et les alliages, dont l'or et, dans une moindre mesure l'argent, étaient les plus précieux et les plus recherchés. Le travail de l'alchimiste consistait à chercher à fabriquer la poudre, appelée «pierre philosophale» capable de transmuter un métal vil (ayant peu ou pas de valeur) tel que l'étain, le plomb, le cuivre ou le fer, en métal précieux. Les alchimistes cherchaient aussi à expliquer l'origine des métaux. L''auteur le plus célèbre de l'époque est un certain Zosime de Panoplis qui vécut au IVème siècle et développa l'idée selon laquelle le mercure est le constituant principal de tous les corps, en particulier de l'or et de l'argent. L'alchimie 'arabe' (cad. en langue arabe) a pris sa source dans les écrits grecs, grâce en partie aux contacts avec les traducteurs chrétiens, estoniens et persans(5). Le canal perse semble avoir été prédominant et serait «à l'origine de l'aboutissement de l'alchimie en Islam». Les travaux «arabes» en alchimie décrivant les procédés et le matériel utilisés dans al-kimya sont nombreux. Entre le VIIIe et le XIIe siècles, le niveau des connaissances précises des substances chimiques et de l'équipement était tel que l'on peut, désormais, associer légitimement la chimie expérimentale aux 'arabes'»(5), plutôt aux arabophones. Plusieurs noms ont contribué au développement de l'alchimie 'arabe' parmi lesquels on peut citer Khaled Ibn Yazid, Jaafar Es-Sadek, et Abou Bakr Er-Razi(5), mais la contribution de loin la plus importante est celle de l'arabo-persan Jabir Ibn Hayyan (721-815). Ce dernier descend de la tribu des Azd (الازد) originaire du Yémen et, d'après Ibn al-Nadim, fermement établie à Al-Koufa (Irak) et a Khourassan (Iran). Abou Moussa Jabir Ibn Hayyan al-Azdi al-Tusi (ابو موسى جابر ابن حيان الأزدي الطوسي) est né à Tous (ou Tus) a Khorassen, province orientale de l'Iran. Son père Hayyan était droguiste-pharmacien installe a Koufa et c'est vraisemblablement dans la boutique parentale qu'a commence la passion, voire l'amour, du jeune Jabir pour les produits chimiques. On raconte même qu'a sa mort, on a trouvé sous son oreiller un morceau d'or très pur. Apres un passage par le Yemen pour recevoir une instruction religieuse (chiite) et scientifique, Jabir retourna à Koufa et plus tard émigra à Bagdad. Son père a soutenu la révolte des Abbassides qui l'ont envoyé à Khorassan pour défendre leur cause contre les Omeyyades. Ces derniers l'ont capturé et assassiné. A Bagad Jabir a bénéficié de la protection des califes Abbassides et surtout de celle du célèbre Haroun Er-Rachid، le fondateur de l'une des plus importantes bibliothèques du monde musulman, khizanat al-Hikma (خزانة الحكمة) qui deviendra Beit al-Hikma, la prestigieuse Institution du Savoir ou se retrouvent des savants de tous horizons.
Les œuvres attribuées à Jabir (ou Geber son nom latinise) se comptent par centaines. Elles peuvent être subdivisées en deux groupes(6): le premier a été directement rédigé en latin et date du XIII et XIVème siècles et ont été écrits par des auteurs qui ont utilisé son nom comme pseudonyme. L'autre groupe a été écrit en arabe aux VIII et IXème siècles par Jabir lui-même et peut être aussi en partie par certains de ses disciples. Toutefois, tout le monde s'accorde pour affirmer que la contribution d'Ibn Hayyan dans l'avancement de la chimie a été considérable. C'est lui en effet qui «a écrit plus de cent traités sur des sujets variés allant de la cosmologie à la grammaire en passant par la médecine, les mathématiques et bien d'autres sujets, dont 22 se rapportent a l'alchimie et la chimie. Fermement bâtis sur des observations expérimentales, ses livres donnent une systématisation des procédés chimiques fondamentaux utilisés par les alchimistes, tels que la cristallisation, la distillation, la calcination et l'évaporation. Ils constituent un grand pas dans la transformation de la chimie d'un art occulte en une discipline scientifique»(7). Certes une partie de ses nombreux travaux s'intégrait dans l'air du temps. Elle consistait a rechercher l'élixir (الاكسير) capable de transmuter les métaux vils et a développer sa théorie sur la genèse des métaux, qui les fait dériver d'un mélange judicieux de mercure et de soufre, mais sa plus grande contribution est à caractère scientifique et rationnel. En plus de ce qui précède, Jabir a développé plusieurs équipements de laboratoire toujours en usage à l'heure actuelle, a fabriqué les acides chlorhydrique et nitrique par distillation de solutions d'acide sulfurique additionné de sel (NaCl) ou de salpêtre (KNO3), a mis au point les méthodes de fabrication de l'acier et de purification de divers métaux, de prévention de la rouille, de dépôt de dorure, de teinture de vêtements, de coloration du verre(7) etc... Une bonne partie de ses travaux à été traduite et commentée par le célèbre chimiste français Marcellin Berthelot (1826-1907) qui, après son retour d'un voyage en Egypte en 1869 publia plusieurs textes, en arabe, avec leurs traductions, dans un livre monumental «La chimie au Moyen Age», ou il est arrivé à la conclusion que Jabir Ibn Hayyan «est pour la chimie ce qu'Aristote est pour la logique»(5). Il est indéniable que cette contribution aurait eu une aura bien plus importante et une diffusion plus large et précoce si Ibn Hayyan avait vécu et travaillé en Occident, ou aucune de ses œuvres n'a été traduite en latin avant 1144, soit trois siècles et un tiers après sa mort.
Comme mentionné précédemment, Lavoisier a été sacre, au XVIIIème siècle, «Père de la Chimie Moderne». Certes sa contribution a été déterminante sur le plan conceptuel, mais sur le plan pratique la "modernisation" de la chimie a commencé déjà au VIII-IXème siècles à Bagdad avec les mises au point par Jabir et son école, des procédés de synthèse et de purification utilisés jusqu'à nos jours. L'autre grand mérite d'Ibn Hayyan est d'avoir réussi à mettre au point ces procèdes expérimentaux a une époque où "le progrès technologique" était certainement plus que rudimentaire en comparaison avec ce dont a bénéficié Lavoisier prés d'un millénaire après lui. Malgré les difficultés de son époque, Jabir Ibn Hayyan a réussi à poser les bases de la Chimie Expérimentale.
On ne peut s'empêcher de constater avec amertume que, parmi les nombreuses villes Universitaires du monde arabophone, qui totalise pas moins que 464,5 millions d'âmes dont nous faisons partie, seule Al-Koufa en Irak ait reconnu le mérite de Jabir et voulu pérenniser sa contribution à l'avancement de la Science, en attribuant son nom à l'une de ses Institutions d'Enseignement Supérieur.
Mohamed Jemal
1/ Charlotte Chaulin, Découverte du feu: retour sur un événement majeur, cité par Geo.fr dans https://www.geo.fr, sciences.
2/ Christian Milat, l'alchimie, ou la mort transmutée en immortalité, Frontières, vol 18, n°1, 2005, https://id.erudit.org/iderudit/1074312ar
3/ CNRS Editions, Open Edition Books, chapitre 5. Alchimie, p.159-216.
4/ Bernard Joly, Quand l'alchimie était une science, l'Actualité Chimique, juin 2014, n°386, p. 32-38.
5/ Mahab-Eddine Brik, Histoire de la chimie dans la civilisation arabo-musulmane, dans "Histoire de la chimie, l'Actualité Chimique, mars 1999, p. 36
6/ Olivier Lafont, Le «père de la chimie écrite»: Jabir Ibn Hayyan, mythe ou réalité, J. Mater. Environ. Sc., 1(4), (2010), p. 205-212.
7/ fr.m.wikipedia.org, Jabir Ibn Hayyan, Travaux alchimiques.


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