Par Rafik BEN HASSINE * Introduction Entre le VIIe et le XIe siècles, la recherche scientifique la plus avancée se faisait en arabe. L'arabe était alors la langue de la science, depuis l'Espagne jusqu'aux confins de la Chine. Durant le califat omeyyade, l'empire arabe a commencé à consolider ses gains territoriaux. Les Arabes sont devenus une classe dirigeante, ils se sont vite assimilés dans leur nouvel environnement à travers l'empire. La période faste se situe durant le califat abbasside, entre 692 et 945. Elle s'est terminée lorsque le califat a été marginalisé par les dirigeants musulmans locaux. Le déclin de la civilisation arabe avait alors commencé. Dans ce qui suit, nous désignerons par science (ou civilisation) arabe la science véhiculée par la langue arabe, même si les savants qui en sont les auteurs ne sont ni arabes ni musulmans. Nous désignons par monde arabo-islamique l'ensemble des peuples et des religions vivant dans un espace où le pouvoir politique était détenu par des musulmans et où la langue arabe était la langue des savants et des érudits. Qui sont les savants arabes ? Les réalisations de la science arabe couvrent un large éventail de domaines: les mathématiques; l'astronomie; la médecine, la physique; l'alchimie et la chimie; la cosmologie; l'ophtalmologie; la géographie et la cartographie; la sociologie et la psychologie. Ces sciences, qui comprenaient aussi la philosophie, ont une vision holistique (c'est à dire qui considère les phénomènes comme des totalités). Ainsi, les disciplines scientifiques individuelles ont été abordées en termes de leurs relations les unes avec les autres, comme si elles étaient les branches d'un même arbre. À cet égard, les scientifiques les plus importants de la civilisation arabe dominaient plusieurs disciplines, on les appelait des hakim ou sages. Leur rôle dans la transmission des sciences a été central. Ils ont élaboré et personnifié l'unité de la science. Dans sa monumentale Histoire des sciences, George Sarton montre comment après les Egyptiens, les Sumériens, les Grecs, les Romains, les Byzantins, les savants du monde musulman (Persans, Arabes, Berbères, musulmans, juifs, chrétiens,…) ont dominé toutes les branches du savoir de leur époque, en une suite ininterrompue, de 750 à 1100. Ce sont justement ces caractéristiques qui expliquent que les savants arabes aient été les premiers de l'histoire à conférer à la science un caractère universel. Avant eux, il y avait une science grecque, une science persane, une autre indienne, une chinoise, etc. qui, malgré des parentés de leurs préoccupations, conservaient chacune sa spécifité propre et sa manière singulière de traiter les problèmes. Parmi ces différentes cultures, il faut accorder une mention spéciale à la Perse. La culture persane a donné naissance à de nombreux et brillants savants comme Al Fazzari, Al-Kawarizmi, Al-Razi, Ibn Sina, Al-Biruni, A-Gili, Al-Kayyam, At-Tusi, ou Al-Kashi. D'autre part, lors de l'assimilation de la science indienne, les Arabes furent aidés par plusieurs brâhmanes hindous, que les califes de Bagdad recevaient souvent avec largesse. Des bouddhistes convertis à l'Islam, tels Barmak, entreprirent maintes traductions en arabe de textes sanskrits. Ils furent en cela secondés par bon nombre de chrétiens de Syrie et d'Irak. Il ne faut pas oublier non plus tous les savants arabes non musulmans, juifs et chrétiens, et que les califes de Bagdad ou de Cordoue avaient intégrés dans leur empire. Parmi les chrétiens, citons l'astrologue Théophile d'Edesse, les médecins Ibn Bakhtyashu, Ibn Bunan, et Al Mardini, le philosophe, médecin, physicien, mathématicien et traducteur Qusta ibn Luqa, et de nombreux traducteurs. Parmi les juifs, on peut citer l'astronome et mathématicien Yaacoub ibn Tariq, les astronomes Mashallah et Sahl Al Tabari, Sanad Ibn Ali (juif converti à l'Islam) constructeur de l'observatoire de Bagdad, le grand rabbin Maymun ibn Abdallah (Maïmonide), philosophe, mathématicien, astronome et médecin. Mais, naturellement, la science arabe doit aussi et surtout aux penseurs et savants musulmans. Pour apprécier l'importance considérable de la contribution de ces savants (qui ont été si nombreux et si féconds qu'il est impossible de les citer tous ici), nous allons juste citer quelques exemples de mathématiciens arabes réputés. 1. Abu Abdallah Al-Khawarizmi (783-850) était un mathématicien persan, géographe et astronome. Il est considéré comme le plus grand mathématicien de la civilisation islamique. Il a contribué à l'adoption du système de numérotation indienne, plus tard connue sous le nom de chiffres arabes. Il a introduit des méthodes de simplification des équations. Il a utilisé la géométrie euclidienne dans ses démonstrations. 1. Abü Yüsuf al-Kindï (801--873). Dans le domaine de la géométrie, Al Kindi aborde la théorie des lignes parallèles. Il donne un lemme sur l'existence de deux lignes dans le plan, à la fois non parallèles et sans intersection, la géométrie non euclidienne n'est pas loin. 3. Thabet Ibn Qurra (826-901) est connu pour ses traductions des mathématiques grecques, et ses recherches en arithmétique sur les nombres premiers. Il énonce et démontre le plus important théorème connu sur les nombres amiables (deux nombres sont amiables si chacun d'eux est égal à la somme des diviseurs propres de l'autre) qui porte aujourd'hui son nom. Ce travail sur les nombres amiables sera poursuivi par al-Fârisî (XIVe siècle). L'analyse des conclusions d'al-Fârisî montre que dès le 14e siècle, on était parvenu à un ensemble de résultats et de techniques attribués jusque-là aux mathématiciens européens du 17e siècle. 4. Al Hassen Ibn Al-Haythem (965-1039), surnommé Alhazen par les Européens, est un savant qui a laissé son nom sur la question connue aujourd'hui sous le nom de problème du billard d'Alhazen. Le problème peut se résumer ainsi‑: soit deux billes A et B placées en deux points quelconques d'un billard parfaitement circulaire. Trouver le point du rebord sur lequel la bille A doit être envoyée pour revenir heurter la bille B après avoir rebondi une seule fois. Alhazen a réussi à le trouver grâce à des sections coniques, mais il n'a pas réussi à le prouver à l'aide d'un raisonnement d'algèbre mathématique. Durant des siècles, plusieurs scientifiques ont essayé de résoudre ce problème, mais ce n'est qu'en 1997 que Peter M. Neumann, professeur à Oxford, a démontré que la solution fait appel à une équation du quatrième degré et ne peut donc être résolue avec une règle et un compas. Ibn Al-Haythem a découvert l'un des plus beaux théorèmes de la théorie des nombres‑: un entier p, plus grand que 1, est premier si et seulement si ((p – 1)!+1) est divisible par p. Sept siècles plus tard, les Européens appèleront ce théorème, le théorème de Wilson (1741-1793). 5. Muhammad Al-Bïrïnï (973- 1048) est connu pour sa théorie sur la rotation de la Terre autour de son axe et autour du Soleil, et cela bien avant Copernic (1473-1543). Il mentionna, avant Isaac Newton (1642-1727), la force d´attraction que la Terre exerce sur les corps. C'est le nom du savant arabe Al Birouni, contemporain d'Avicenne, qui a donné le mot français aliboron. Au Moyen Age, le mot aliboron signifiait docteur, homme habile. La Renaissance européenne, voulant effacer toute influence arabe, et ridiculiser cette civilisation, a modifié le sens du mot aliboron, qui signifie, depuis les fables de La Fontaine, âne!! 6. Omar Khayyâm (1048-1131) est le premier mathématicien qui ait traité systématiquement des équations cubiques, en employant des tracés de coniques pour déterminer le nombre des racines réelles et les évaluer approximativement. Outre son traité d'algèbre, Omar Khayyâm a écrit plusieurs textes sur l'extraction des racines cubiques. 7. Nasir al-Din al-Tusi (1201-1274) était le premier à traiter la trigonométrie en tant que discipline mathématique distincte, et dans son Traité sur le Quadrilateral, il a donné la première exposition étendue de la trigonométrie sphérique, et il était le premier à énumérer les six cas distincts d'un triangle équilatéral en trigonométrie sphérique. Il a également créé la célèbre formule de sinus pour les triangles isocèles, qui était l'une de ses contributions mathématiques principales. En 1265, al-Tusi a écrit un manuscrit concernant le calcul pour les nième racines d'un nombre entier. D'ailleurs, il a indiqué les coefficients d'expansion d'un binôme à n'importe quelle puissance, donnant la formule binomiale (triangle dit de Pascal). Citons aussi des savants d'autres disciplines: le chimiste Jabir Ibn Hayyan (vers 800), le médecin Ibn Firnas (810-887) qui en 880 construisit la première machine volante faite d'étoffe et de plumes, le médecin Ar-Razi (Rhazès, mort en 925) qui fut le fondateur du premier hôpital, le philosophe et médecin Ibn Sina (Avicenne 980-1037), Al Fazzari, Al Battani, Abu Kamil, Al Farabi, Al Masuudi, Abul Wafa, Al Karaji, etc. A partir du XIIe siècle, émergent des savants européens mais ils doivent encore compter avec le philosophe Ibn Roshd (Averroès 1126-1198), le médecin et théologien juif Maïmonide (1135-1204), le géographe et voyageur Ibn Battûta (1304-1377) et l'historien Ibn Khaldoun (1332-1406).