Le confinement général décidé le 22 mars a été prolongé de quinze jours supplémentaires en dépit des protestations sociales et des cris de détresse des organisations patronales qui craignent la disparition d'une proportion non négligeable des entreprises, PME et TPE en tête. Le gouvernement a d'abord opté de partir sur 15 jours de confinement en suivant les recommandations du Comité scientifique de lutte contre le coronavirus. «Les malades présentent des symptômes 14 jours maximum après avoir été contaminés par le Covid-19. Deux semaines sont donc nécessaires pour bloquer la circulation du virus», justifiaient alors le ministre de la Santé, Abdellatif Mekki, le 21 mars, tout en estimant que cette période pourrait être reconduite une ou plusieurs fois en fonction de l'évolution de la situation. Pour le gouvernement, la période de quinze jours renouvelables permet une certaine souplesse et la possibilité d'adapter sa stratégie, selon l'évolution de la courbe de contaminations et des données statistiques. Les scientifiques eux pensent que le confinement doit durer aussi longtemps que nécessaire vu qu'on n'a pas encore atteint le plateau du pic de cette épidémie. Mais ces calculs purement scientifiques et motivés par l'obligation de préserver les vies humaines risquent d'avoir un impact économique et social dévastateur. S'il atteint les poumons des êtres humains, le coronavirus peut aussi affecter ceux de l'économie et de la stabilité sociale. Plusieurs centaines de personnes, dont de nombreux travailleurs précaires, ont manifesté, fin mars, dans les quartiers populaires de M'nihla et Ettadhamen pour protester et réclamer les aides promises par le gouvernement et le droit de travailler. Avec un confinement prolongé, 41,5 % de la population tunisienne qui dépend de l'économie parallèle, selon une récente étude réalisée par la Banque mondiale, risque d'être abandonné à son propre sort. Avec un confinement qui s'étale sur plusieurs mois, ce sont environ 300 000 familles extrême net pauvres à qui ont dit de mourir de faim lieu de prendre le risque de contracter un virus dont le taux de mortalité tourne autour de 3%, voire beaucoup moins si l'on prend en considération les personnes asymptomatiques ou présentant de faibles symptômes. Sur un autre plan, une enquête sur l'impact du Covid-19 sur les entreprises tunisiennes rendue publique le 1er avril par l'Institut arabe des chefs d'entreprises (IACE) révèle que 61% interrogés déclarent qu'il est probable ou fort probable de passer au chômage technique, voire la suppression de postes d'emploi. Confinement ciblé et immunité collective Plus de 75% des chefs d'entreprises ont déclaré que leurs activités sont déjà impactées par la crise sanitaire. Plus alarmant encore, 90% des entreprises opérant dans le secteur des services aux particuliers estiment la baisse de leurs chiffres d'affaires à 70%. D'après la même étude de l'IACE, 78% des patrons estiment que la crise va durer de trois à six mois. 96,7% expriment leur inquiétude quant à l'impact de la crise sur leurs activités pendant les six prochains mois, et 88% des chefs d'entreprises sondés ont exprimé leur crainte pour les 12 prochains mois. Au vu de ces données, les experts estiment que la Tunisie ne peut pas s'offrir le luxe d'un confinement total prolongé contrairement à certains pays riches qui ont des réserves financières pour nourrir leur population confinée pendant une longue période. Selon ces mêmes experts, la meilleure option pour la Tunisie est d'opter pour une approche basée sur le confinement ciblée et l'immunisation collective des citoyens. Cette stratégie repose sur le confinement des personnes âgées de plus de 60 ans et des personnes présentant des comorbidités (maladies cardiovasculaires, pulmonaires, diabète, hypertension et personnes immunodéprimés etc…). Les personnes âgées de moins de 60 ans devraient eux reprendre leurs activités tout en respectant scrupuleusement les mesures de distanciation sociale, les gestes barrières et le port généralisé des masques. Cette stratégie doit nécessairement être accompagnée par un dépistage massif utilisant des tests de diagnostic bon marché peu coûteux afin de réduire la contagion. Les épidémiologistes estiment que faute d'un niveau satisfaisant d'immunité de la population au nouveau coronavirus, une deuxième vague aura assurément lieu, après le déconfinement. En d‘autres termes, il faudrait que la majorité de la population soit touchée par ce virus pour qu'elle puisse développer cette immunité de groupe, baptisée aussi immunité grégaire ou collective. Ce seuil est différent d'un virus à l'autre. Il est par exemple de l'ordre 83% pour la rubéole et de 94% pour la rougeole. Pour le Covid-19, ce taux serait situé entre 50 et 66% de la population. Le principe est simple : plus la proportion de personnes immunisées est importante, plus sa transmission sera réduite.