A peine eût-il commencé à prendre ses marques à la Kasbah, qu'Elyès Fakhfakh a vu le ciel lui tomber sur la tête. On sait, déjà, que son gouvernement avait connu un accouchement aux forceps. On sait, aussi, qu'il s'est retrouvé pris entre deux feux, entre deux tirs croisés. Le premier venant de Carthage, où son « bienfaiteur » Kaïs Saïed, cherche à l'entrainer dans ses lubies idéologiques. Le deuxième, nourri, venant du Bardo, où, dans ses péremptoires sournoiseries, Rached Ghannouchi a, d'emblée, cherché à le mettre au pas. Cette guerre des légitimités n'en continue pas moins d'hypothéquer, d'entraver l'action gouvernementale. Et, qui plus est, avec un gouvernement un peu trop hétéroclite, des ministres qui ne se connaissent pas, du fait d'une architecture où les indépendants, en d'autres termes, les technocrates doivent en découdre avec les partisans. Les technocrates sont en effet dans l'approche technique. Les ministres partisans actionnent leurs approches en fonction de leurs boussoles, c'est-à-dire leurs « centrales » qui, elles, se confondent dans la dictature parlementaire, celle-là même sur laquelle travaille l'homme qui domine du haut de du perchoir. « Corina », Corona, ou la dictature parlementaire « Corina » néologisme « ghannouchien », lapsus révélateur aussi, fait que le côté dévastateur du Covid-19 n'est pas perçu de la même manière par la classe politique. A croire que bon nombre parmi nos politiques s'en croie immunisé, par la force divine. Et, du côté de l'hémicycle, on prend tout son temps pour légiférer, pour déléguer une parcelle de ses prérogatives au Chef du gouvernement. Un mois mis à s'interroger sur le sexe des anges, comme l'a fait le Sénat romain, alors que l'empire s'écroulait. Non, le parlement de chez nous recherchait, plutôt, le sexe du diable. Suspicion. Suspectes interprétations. La crainte d'un coup d'Etat constitutionnel qu'actionnerait Fakhfakh, qui a la police et la Garde nationale sous sa coupe, et Kaïs Saïed, Chef suprême des armées. Loufoqueries. A contrecœur, le Parlement a consenti au Chef du gouvernement de recourir à l'article 70 pour émettre des décrets lois. Et, encore ! On s'est arrangé de sorte que le champ de ces prérogatives soit réduit à la portion congrue. Au point que Fakhfakh, lui-même, s'est à peine retenu de dire, dans son interview télévisée, que « c'était trop peu et trop tard ». Il ne l'a pas fait. On l'aurait conspué pour avoir emprunté cette formule à Bourguiba, leur cauchemar à tous. Il se trouve même que cette délégation de pouvoirs n'est pas encore effective, parce qu'elle ne paraitra que la semaine prochaine au Journal officiel… Et, entretemps, le Parlement ne démord pas : interminables séances d'auditions auxquelles sont soumis les ministres alors qu'ils doivent être sur le terrain. Il est vrai que le Bureau de l'ARP, confié par Ghannouchi à l'extension de son bras, son très controversé chef de cabinet, Habib Khedher, s'érige en gouvernement parallèle. Clivant que tout cela. C'est le jeu de l'entonnoir. Le centralisme parlementaire. La dictature parlementaire pour contrecarrer le slogan « le peuple veut »- autre hérésie. Dans tout cela, on prend les enfants du bon dieu pour des canards sauvages. Stoïcisme des Blouses blanches et leçon de patriotisme Il se trouve que l'action gouvernementale s'en ressent. Elyès Fakhfakh s'en remet aux Blouses blanches. Il n'y a guère de salut en dehors d'eux. Le pays regorge, en effet, de compétences de premier plan. Et, même si l'approche du discours change d'un spécialiste à l'autre, la Santé publique, si démunie en logistique, si clochardisée durant des décennies, révèle la très grande compétence de nos professeurs. Voilà que les Nissaf ben Alaya, les Chokri Hammouda, les Hechmi Louzir mettent en avant la très vaste dimension de leurs magistères respectifs. Et, ils ne sont pas les seuls. Sauf, que là aussi, leur savoir pointu, leurs visions prospectives (l'interview de Hechmi Louzir, par exemple, à Al Hiwar à propos du dépistage a fait sensation), les explications épidémiologiques de Nissaf Ben Alaya (quitte à flancher), les vérités que révèle Chokri Hammouda, tout cela est, quelque part, récupéré par « les politiques ». Quant aux larmes du ministre, disons qu'elles sont simplement d'instinct… Disons aussi que ce n'est pas « politique ». Mais, Quand, par exemple, Macron se rend dans l'antre de Didier Raoult, ce n'était pas mu par une quelconque motivation de récupération politique. C'était l'aumône faite au Savoir. Des professeurs à la Raoult, nous en avons. Des spécialistes en virologie et en épidémiologie, nous en avons aussi. Ont-ils, néanmoins, les moyens d'approfondir leurs recherches ? Sont-ils, par ailleurs, conséquemment rémunérés dans cette ridicule grille des salaires de la fonction publique ? Tout près de chez nous, dans l'espace maghrébin, plus précisément au Maroc, un professeur en médecine perçoit l'équivalent de 20 mille dinars mensuels. Combien perçoivent nos professeurs ? Moins que les députés qui en redemandent toujours plus. S'est-on, au moins, interrogé sur les causes de la fuite de nos cerveaux ? Sur l'exode de pas moins de 8 mille médecins et autres spécialistes et qui sont allés faire « les beaux jours » de la Santé publique en France, en Allemagne, au Canada, depuis la révolution ? Un chapitre à part. Les politiques successives n'auront fait que privilégier le « politique » au détriment des compétences sectorielles. On met vingt ans, en effet, à former un médecin. Mais, juste cinq minutes à créer un ministre. Aujourd'hui, on s'en remet à nos grands spécialistes, à cette admirable Armée de blouses blanches. Ils ne se dérobent pas à leurs responsabilités. Et, alors, de quel côté se trouve le patriotisme ? Certainement pas du côté des politiques et des tribuns récupérateurs que nous élisons à des fins politiciennes. Honte au système. Honte à nous….