République j'ai écris ton nom au portillon de l'histoire. Il l'aurait crié, déclamé en donnant aux mots et aux phrases toutes les intonations qu'elles exigent pour avoir en retour toute la cruauté et les maux qu'un destin peut nous réserver : fausses allégations et oubli. Car lui c'est Tahar Ben Ammar l'homme qui a signé le traité de l'indépendance de 1956 et bien avant le protocole d'accord sur l'autonomie interne du 3 juin 1955 mais qu'on a tenté d'en effacer la mémoire de tous les annales de l'histoire. Et si Chedly Ben Ammar, son fils publie en 2015 un ouvrage biographique richement documenté, le but était de rétablir la vérité sur une manigance dont le leader Ben Ammar était la victime. Mais les choses ne se sont pas vu améliorer pour autant, car étrange est le fait que jusque-là on met en sourdine l'histoire des artisans de l'indépendance au profit de ceux qui outragent cyniquement la vérité et essayent de donner le change. « MENOTTEZ-MOI DONC CETTE MAIN QUI SIGNA L'INDEPENDANCE » lançait Tahar Ben Ammar au policier qui s'apprêtait à le menotter suite à un complot fomenté contre lui au lendemain de l'indépendance en 1958, lorsqu'il était député. Ne disait-il pas aussi « « Qui a signé le protocole du 20 mars ? N'est-ce pas moi ? J'ai toujours été contre l'exploitation et la colonisation depuis 1922. J'ai présidé la deuxième délégation pour revendiquer l'indépendance. Est-il concevable que je m'y oppose alors que la coupe est tout près des lèvres ? Mon principe est l'indépendance et la liberté. J'ai toujours été convaincu de la nécessité d'une entente et de négociations avec le parti et le président Bourguiba. Je le disais aux Français, sincèrement. » Ces paroles, et bien d'autres, sonnant vrai, ont été rapportées dans un ouvrage qui parle de l'un des personnages clés de l'indépendance de la Tunisie. « Tahar Ben Ammar : le combat d'un homme, le destin d'une nation », le livre que signe Chedly Ben Ammar retrace le parcours de quasiment quarante ans de militantisme de l'un des bâtisseurs de la nation. C'était aussi une manière de montrer à qui veut bien le savoir que la mémoire des hommes est vivante dans sa vérité, mais aussi avec son lot d'injustices. Il convient donc d'en imaginer l'allure. Apprenons-nous, dans la foulée, et toujours selon l'auteur du livre qui s'appuie sur des documents authentiques, que Tahar Ben Ammar a dirigé l'élaboration de la première mouture du CSP, le Code du Statut Personnel qui honore et fait jouir la femme tunisienne de larges droits. Le CSP qui a été, en effet promulgué plus tard par Bourguiba, était en fait l'œuvre d'une pléiade de juristes et oulémas placés sous la direction de Tahar Ben Ammar en 1951. Il faut dire qu'ils nombreux sont les historiens et les journalistes qui ont planché sur les injustices que Ben Ammar a du endurer, restituant ainsi des vérités bizarrement quasi-inexistantes dans nos manuels scolaires. « Plusieurs figures politiques, dont Mohamed Masmoudi, Chedly Zouiten et Béchir Ben Yahmed, fondateur de Jeune Afrique, ainsi que Pierre Mendès France, Edgar Faure et Pierre July, s'étaient élevées contre l'infamie faite à cet homme qui, ébranlé par cette épreuve, se retirera de la vie publique », rapporte le magazine Jeune Afrique qui réserve plusieurs articles autour de la carrière politique de Tahar Ben Ammar et sa condamnation en 1958 ayant provoqué à l'époque une crise politique. Le directeur de l'hebdomadaire « L'Action tunisienne » et ancien secrétaire d'Etat à l'Information, Béchir Ben Yahmed écrivait à ce propos : « Tahar Ben Ammar n'a jamais trahi son pays et a même favorisé, par ses prises de position et ses refus, notre liberté politique. Il ne nous a pas été imposé comme président du Conseil… Le procès qu'on lui fait et qu'on ne fait pas à d'autres prend l'aspect d'une mauvaise querelle et qui nous diminue à l'intérieur et à l'extérieur… Nous sommes de ceux qui souhaitent que recule son influence politique et ceux de sa classe, mais par les voies de la démocratie. » Un illustre combattant pour l'indépendance du pays Né le 25 novembre 1889 à Tunis et mort le 10 mai 1985, Tahar Ben Ammar, un propriétaire terrien aisé, était aussi une figure éminente du mouvement national tunisien et une personne qui s'est vu accorder plusieurs fonctions au sommet de l'Etat dont celui du grand vizir du Bey entre 1954 et 1956. « Dès 1920, Ben Ammar est membre de la première délégation du Destour, qu'il fonde avec d'autres patriotes à l'exemple d'Abdellaziz Thaalbi, Ahmed Essafi, Ali Kahia », écrit Roger Casemajor dans son ouvrage ‘'L'action nationaliste en Tunisie, Carthage, MC-Editions, 2009''. Toujours selon la même source « Le 11 septembre 1944, un Comité d'études des réformes est créé, rassemblant, sous la présidence de Tahar Ben Ammar, Mustapha Kaak, Habib Bourguiba, Salah Farhat, Tahar Lakhdar, Mohamed Fadhel Ben Achour, Mohamed Badra et Albert Bessis. Le 30 octobre, le comité diffuse un communiqué réclamant l'autonomie interne de la nation tunisienne (self-government) à base démocratique et dont la forme sera déterminée par une assemblée issue d'une consultation nationale ». Et l'auteur d'ajouter « Face aux menaces de répression du résident général Charles Mast, Ben Ammar profite de la session de clôture du Grand Conseil le 13 juin 1945 pour déclarer ce qui peut jeter les prémices de l'indépendance interne de la Tunisie : « Le moment est venu d'écouter notre voix. Que demandons-nous ? Que la masse de notre peuple et que notre élite soient formées pour pouvoir, progressivement, dans le cadre des traités et des conventions, être responsables de la gestion du pays, que ceux qui possèdent déjà cette formation devraient maintenant être appelés aux postes qui conviennent. Nous demandons aussi que les libertés individuelles, qui constituent les fondements de toutes les démocraties, soient proclamées solennellement par les artisans de la résurrection française. » » En guise de conclusion Au lendemain de l'indépendance et juste pour la mémoire : Tahar Ben Ammar qui a été injustement condamné pour fraude fiscale et pour mal acquisition de bijoux beylicaux, retrouve la liberté après cinq mois d'incarcération. « Plusieurs années plus tard, en 1969, il recevra le Grand Cordon de l'Ordre de l'indépendance… et les regrets de Bourguiba, qui ne l'en humilia pas moins en lui accordant une grâce amnistiante alors que son innocence avait été établie », rapporte le magazine Jeune Afrique. La lecture censée de cette page pas moins surprenante de l'histoire ne peut que nous inspirer de sérieuses interrogations sur les mensonges qu'on a pu à tort pris pour des vérités. Chaque lecteur aura certes son point de vue sur la question, mais personne ne peut nier le parcours d'un homme qui a tutoyé le pouvoir avec difficulté et au péril de sa vie.