''Intifada'' (insurrection), ''mouqawama'' (résistance), ''jihad'' (guerre sainte) et ''chahada'' (martyre)... Ces mots, qui polluent nos médias audiovisuels et écrits, ont, chez beaucoup d'entre nous, une connotation positive, chevaleresque, héroïque voire mythique. Dans l'ambiance mortifère qui est la nôtre dans le monde arabo-islamique, entretenue par la violence subie et infligée et les flots de sang déversé quotidiennement, ces mots évoquent généralement des actes sacrificiels visant un objectif national, le plus noble de tous : se libérer d'une occupation étrangère. Ces mots sont souvent utilisés aussi pour parler de conflits (et de jougs) purement internes. Ainsi, pour qualifier le soulèvement de l'opposition contre le gouvernement au Liban, certains tabloïds n'ont pas hésité à parler d'''intifada'', poussant ainsi le ridicule jusqu'à faire un parallèle entre les Palestiniens soumis au joug israélien et les chiites libanais opposés au cabinet de Fouad Siniora, mais aussi entre les gouvernements libanais et israélien. Or, à y voir de plus près, ni l'''intifada'' (en Palestine), ni la ''mouqawama'' (en Palestine, en Tchétchénie, en Irak et ailleurs) ni le ''jihad'' (de Grozny à Bagdad, de Gaza à Kaboul...), ni la ''chahada'' (un peu partout dans le monde) n'ont fait avancer la cause de ces peuples opprimés. Au contraire, depuis que ces peuples, par désespoir ou par impuissance, ont recouru à ces méthodes de lutte, aussi extrémistes qu'improductives, la Palestine est «plus» occupée chaque jour, l'Irak est livré aux pilleurs et aux tueurs, la Tchétchénie écrasée sous la botte du Kremlin et le monde arabo-islamique relégué au rang d'une «zone grise», en marge du monde moderne, où se côtoient - et s'entretuent - des autocrates, des chefs de guerre, des apprentis terroristes et des trafiquants de tous genres. Une «zone grise» aussi où la richesse la plus insolente côtoie l'extrême pauvreté et où les dangers ne viennent plus seulement des menées extérieures - même si ces menées sont réelles et incessantes -, mais des injustices, divisions et rancoeurs qui couvent à l'intérieur du grand homme malade qu'est aujourd'hui le Grand Moyen Orient. Et si le salut du monde arabo-islamique viendrait de l'abandon de l'''intifada'', de la ''mouqawama'', du ''jihad'' et de la ''chahada'', ces formes de lutte réactives qui ont démontré, outre leur inhumanité, leur limite et leur inefficacité, en donnant notamment des Arabes et des Musulmans une image négative de barbarie ? Et s'il résidait plutôt dans une révolution culturelle, qui affranchirait l'esprit (des vieux réflexes conservateurs et rétrogrades), restaurerait les lumières de la raison (face aux ténèbres de la passion), libèrerait les énergies vitales (tapies sous le poids de l'oppression) et accélèrerait ainsi le développement des sociétés, dont les ressources - quelles qu'elles soient - devraient être mieux exploitées, en vue de réaliser le bien-être sur terre et non dans une quelconque sphère céleste. Pensons à tous ces jeunes hommes - et jeunes filles - que l'on pousse au désespoir et embrigade, avant de les envoyer au sacrifice suprême, le corps enserré dans une ceinture d'explosifs... Pensons aussi à toutes les personnes innocentes que ces kamikazes - autant victimes que criminelles - emportent dans leur dérive suicidaire... Pensons enfin à toutes les souffrances qui perdureront dans les corps et dans les cœurs, lorsque toutes les rancœurs se seront tues - se tairont-elles d'ailleurs jamais ?... Nous prendrons alors conscience de l'inanité des sacrifices consentis, de l'inutilité du martyre et du gâchis de toutes ces vies sacrifiées sur l'autel de la haine et du ressentiment. Nous comprendrons peut-être aussi qu'il n'y a pas que la force pour faire entendre raison, même face à ceux, Israéliens, Américains et autres, qui usent de la force pour nous soumettre davantage à leur joug. Et admettrons enfin qu'on ne triomphe pas de la violence par une violence encore plus grande, surtout lorsque l'ennemi dispose de moyens de destruction autrement plus redoutables. Que nos médias cessent donc de glorifier les ''intifada'', ''mouqawama'', ''jihad'' et ''chahada'' et essayent de réconcilier nos jeunes avec les valeurs humanistes, notamment le respect de la vie en général, qui est le bien le plus précieux que Dieu nous ait donné, et le respect de la vie des autres en particulier ! C'est là, à bien y réfléchir, l'une des conditions fondamentales pour que la ''nahdha'' (renaissance), dont nous autres Arabes et Musulmans parlons depuis le milieu du 19ème siècle, pourra enfin réellement commencer : la renaissance de l'esprit par la transmutation des valeurs étant le préalable de toute autre renaissance, à commencer par celle de l'individu, de la société et de la nation.