Mohamed Gammoudi était présent dans presque toutes les festivités réservées au champion olympique Oussama Mellouli. Il n'est plus seul à trôner dans le panthéon (désertique) du sport national. Et que nous ayons attendu quarante ans pour remporter une médaille olympique c'est un peu comme une condamnation de l'histoire. Personne ne peut dès lors s'empêcher de poser cette question. A quand la prochaine médaille en or? Dans quarante ans? Après la conquête africaine de l'équipe nationale en 2004 il était devenu de bon ton de parler de "miracle sportif tunisien". Un sacre qui s'inscrivait, disait-on, dans la continuité après les belles médailles méditerranéennes de 2001. Dans ce cas, la formule "miracle sportif" ne cadrait puisque les succès étaient, a priori, programmés et qu'ils étaient l'aboutissement logique d'un travail "scientifiquement" planifié. Or, l'imaginaire sportif et toute la mémoire collective s'arrangent souvent pour être amnésiques. A-t-on oublié la cassure après Izmir 71 et la vaillante équipe de Hizem? A-t-on encore oublié la rupture après l'Argentine 78? Et surtout, surtout, ne nous sommes pas retrouvés contraints de sacraliser Gammoudi au point de le momifier? Et, aujourd'hui, prend-on conscience de ce "cadeau empoisonné" que nous fait Oussama Mellouli? Car à l'évidence le rituel n'a pas changé. S'il est une technique que nous maîtrisons, que nous planifions en matière de sport, c'est justement la récupération et, pour tout dire, l'instrumentalisation des victoires et le tout drapé de discours pompeux faisant tous dans la langue de bois. L'arbre cache alors la forêt parce que l'honneur du sport est sauf. Or Gammoudi que nous croyions sorti du temps l'a dit crûment: on ne s'occupe pas assez, chez nous, des sports individuels? Mellouli lui même a déclaré, prenant très rapidement ses distances vis-à-vis des effusions un peu trop marquées (et remarquées), que "nous avons, nous autres tunisiens quelque chose que les pays colossaux n'ont pas: la rage de vaincre, mais que, ajoute-t-il, nous devions aussi apprendre à prendre conscience de nos insuffisances". De quelles insuffisances parle-t-il? Cela va, à nos sens, du plus compliqué : l'art de flairer les talents, jusqu'au plus simple: les structures dans lesquelles peuvent éclore ces talents! Sur le plan de l'infrastructure, nous n'avons absolument rien à envier aux nations sportives huppées. Les équipements dans nos centres sont identiques à ceux de la Chine par exemple... or, par delà la Grande Muraille on fabrique des champions pour des échéances précises. Comme ce fut le cas pour ces jeux. Le prix à payer? La constance. La prise en charge continue. La discipline. La mentalité. La mentalité justement. La Tunisie est assurément une nation sportive. Mais elle le doit à ses épiphénomènes et à ses phénomènes. Pour sa part, l'Etat a consenti beaucoup, beaucoup de moyens pour mettre en place des structures performantes. Mais alors d'où vient que la performance ne soit pas en adéquation avec les moyens consentis. Et pourquoi l'Etat ne rentre-t-il pas dans ses frais? Un garçon comme Mellouli a parfaitement justifié ce que le pays a dépensé et dépensera encore pour lui. La Tunisie aura gagné en aura et en prestige. Une médaille olympique c'est comme un coup d'éclat diplomatique. Nous voudrions néanmoins connaître, par souci de transparence, l'ardoise d'un Hatem Ghoula ou ceux des nôtres qui font de la figuration dans les joutes mondiales. De grands cerveaux tunisiens sont en train de faire les beaux jours des laboratoires européens et même de quelques laboratoires américains. Ne serait-ce pas plus approprié d'investir ces fonds alloués à des athlètes ou à des équipes qui ne savent gagner qu'à l'échelle arabe, dans les chercheurs de chez nous? Même dans la recherche scientifique pour le sport? Dans les structures justement. Car le sport tel qu'il va actuellement est sclérosé, miné de l'intérieur (à l'image de son football), destructuré, car il y a de moins en moins de vrais techniciens et de plus en plus de tribuns récupérateurs.