- Dans sa conférence, le Professeur Mohamed Arkoun, chercheur algérien en islamologie et civilisation arabe, met le doigt sur un certain dogmatisme devenu structurel Invité par le département des relations internationales de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) à donner une conférence sur les rapports entre l'Europe, l'Islam et le monde arabe, il a qualifié cette tournure prise par la pensée islamique de déviation et de crise d'autant plus difficile à corriger et à surmonter que ce dogmatisme est devenu structurel, entrant, profondément, dans les structures mentales des esprits. Or, la pensée arabe et islamique et la langue arabe qui en a été le véhicule et le support ont su, pourtant, se hisser au rang de pensée et de langue scientifiques et philosophiques, aux époques resplendissantes de la civilisation arabe et islamique. Mais, selon le conférencier, à défaut d'un rétablissement quasi-impossible de cette première pensée arabe et islamique novatrice, face à l'énorme progrès intellectuel accompli, depuis, par l'humanité, une appropriation consciente des outils qu'offre la modernité est la voie la plus commode pour s'y intégrer et libérer le discours islamique du carcan idéologique dans lequel il s'est empêtré.
Fonder le discours islamique sur des bases rationnelles A cet égard, reprenant l'idée maîtresse de l'ensemble de son œuvre, Mohamed Arkoun a réitéré l'importance majeure qu'il continue d'accorder à la critique historique et scientifique comme outil intellectuel et conceptuel de choix, propre à fonder le discours islamique sur de nouvelles bases rationnelles, mieux adaptées aux exigences d'une époque imbue de rationalité. Ainsi, à l'appréciation idéologique et passionnée de la période coloniale dans les pays maghrébins et arabes, il aurait préféré une appréciation critique et libérée du poids du passé comme l'ont fait des chercheurs indous concernant la période coloniale en Inde. C'est dans cet esprit qu'il a salué l'édification de l'Union européenne comme étant un acte révolutionnaire rompant totalement avec les séquelles idéologiques du passé européen et cherchant à fonder une nouvelle vision du monde et de l'homme. Dans ce contexte, il range son œuvre dans le prolongement de celle des pionniers du mouvement réformiste arabes et islamiques qui ont, justement, appelé à la refondation de la pensée islamique à travers sa libération de la sclérose qui l'a embourbée jusqu'à en devenir la caractéristique principale et induire en erreur des esprits aussi avertis que le pape Benoît 16 sur l'essence réelle de l'Islam, lorsqu'il a, par mégarde, opposé, il y a quelques mois, Islam et Raison, ou plutôt Islam et Logos, c'est-à-dire la rationalité dans son acception la plus profonde. Fallait-il, alors, descendre dans les rues pour conspuer le Pape, ou se précipiter dans les bibliothèques pour chercher la signification du mot ''logos'' et réfléchir sur la question, s'est interrogé le conférencier qui, lui, a préféré opposé le succès enregistré dans l'édification de l'Union européenne à l'échec essuyé dans la construction de l'Union du Maghreb Arabe, soulignant que le Maghreb arabe a une vocation historique et géopolitique et un grand rôle à jouer pour son progrès comme pour celui des sphères plus grandes auxquelles il appartient, notamment la sphère arabe et islamique et la sphère euro- méditerranéenne.
Une tâche collective d'émancipation intellectuelle et culturelle Aussi, pour asseoir de solides rapports entre ces sphères, Mohamed Arkoun a insisté sur la nécessité d'abandonner le discours idéologique aux effets souvent inconscients et néfastes pour tous ses partisans où qu'ils se trouvent, en faveur d'une attitude critique et scientifique de tous les sujets qui nous préoccupent, nous, en particulier, les arabes et les citoyens islamiques, et en premier lieu, l'héritage intellectuel arabe et islamique qui nous a été légué par les siècles passés. Dans cette optique, il préconise la soumission de cet héritage à une lecture critique et scientifique de manière à l'épurer de son carcan idéologique et rétablir les conditions propices au renouveau de la pensée islamique et à la réintégration du règne de la rationalité dont nous nous étions coupés depuis la disparition des anciens grands philosophes et penseurs éclairés arabes et islamiques, tels qu'Ibn Rochd et Ibn Khaldoun, ou encore Al Achâari, Mesquaweh et Abou Hayen Tawhidi. De cette façon, en nous armant de ces outils de la pensée moderne, nous pouvons produire une connaissance éclairée par les lumières de la rationalité, à même de nourrir une action politique féconde et contribuer à l'élaboration d'une véritable culture émancipatrice, a dit le conférencier, affirmant que pour apporter ses fruits, cette tâche doit associer les centres de production du savoir, comme les Universités, et toutes les structures d'encadrement à l'instar des syndicats.