Jean-Marie Gourio est auteur de dialogues et de romans. Il a reçu le Grand Prix de l'Humour Noir, comme Raymond Queneau et le prix du roman populiste comme Eugène Dabit et Rachid Boudjedrah. Le reste du temps, Jean-Marie Gourio est un monsieur discret avec une bonne tête qui est là, au bout du comptoir, avec un journal. Selon l'heure, il commande un café ou autre chose. Dans le brouhaha du bistrot et le hasard des conversations quand il capte un bon mot ou une réplique, il sort un stylo et un calepin de sa poche et il les note aussitôt. A chaud, les brèves de comptoir se cueillent immédiatement. Il les collectionne depuis plus de vingt ans, elles sont devenues un phénomène de librairie. Elles sont des gorgées d'humour et des rasades de noirceur, des fleurs d'oralité qui poussent sur une terre populaire. Inutile d'aller les chercher dans les « wine bars » ou les « cafés philo » à la mode ni dans les salons chics des grands hôtels. Elles fleurissent au café du coin les jours de marché et de cabas pleins de salades, au petit matin avec les éboueurs qui ont fini le boulot, l'après midi quand le retraité se met au comptoir devant son verre plutôt que de rester seul chez lui, avec le pharmacien ou le boucher qui passent, après la journée de chantier, quand arrivent les peintres et les maçons, Dans ces moments là, le débit de boissons devient débit de paroles. On commente le réchauffement climatique, les banques, le changement d'heure et les gros titres. Le zinc devient un forum et le consommateur un tribun de circonstance. La brève de comptoir est une alchimie de crânerie et de tendresse, un chaud et froid de mots, dans l'euphorie d'êtres ensemble. C'est le haïku des dilettantes. L'homme de Gourio a réponse à tout. Sa parole vive et imagée saute sans cesse des grands sujets aux petits tracas avec un don d'observation extraordinaire. Aucun sujet ne lui indiffère : il est l'auteur méconnu d'une encyclopédie ahurissante. Tout y passe. L'écologie : « Moi je m'en fous de sauver la planète, j'ai pas de jardin » ; La littérature : « Les auteurs modernes font des livres tellement petits qu'on ne peut plus mettre des fleurs à sécher dedans » ; Le commerce équitable : « Je n'achète rien quand c'est fabriqué par des enfants du tiers-monde, ça se casse tout de suite » ; Le sport : « La viande la plus chère, c'est le footballeur ; «Les mystères de l'existence : « Les enfants sont imprévisibles, ils vieillissent et puis ils meurent » ; La culture : « Visiter le Louvre, t'as le temps de rien voir, tellement y'a de tableaux, c'est une arnaque » ; La modestie : « Ma madeleine de Proust, c'est les rillettes ; Les technologies modernes : « Le plus grand danger des autoroutes de l'information, ça sera pour les hérissons de l'information » ; Le sentiment : « Mon plus grand chagrin d'amour, c'est que personne ne m'aime » ; Le marketing : « Celui qui a inventé la Noël, c'est un mec qui devait tenir un magasin » ; La botanique : « Une plante carnivore peut pas être végétarienne » ; La sagesse ultime : « Tu es poussière et tu retourneras en poussière, pour une femme de ménage, c'est dur comme idée à accepter », etc. La troupe du Rond-Point parvient à conserver le naturel de cette poésie fragile. Sans donner le sentiment de connaître le texte par avance, elle rend la spontanéité de conversations où des ouvriers, des employés des pompes funèbres, des postiers, des coiffeurs, des serveurs... jettent leurs grains de sel, et les brèves de comptoir se boivent comme du petit lait. Robert SANTO-MARTINO (*) Théâtre du Rond-Point, puid en tournée, 1h40.