La meilleure manière d'apprécier le concert de Chadi Garfi et Lubana El Qintar, donné lundi soir au Théâtre municipal de Tunis, est peut-être de retenir ses principaux enseignements : la rencontre de ces deux jeunes espoirs de la musique et du chant arabes, renforcée par la participation d'une pléiade de virtuoses tout aussi prometteurs, se voulait un gage rassurant à divers niveaux : Chadi, Lubana et la pépinière de génies qui les accompagnait avaient l'air de dire aux 200 spectateurs venus les écouter et les applaudir : ne craignez rien pour la relève des ténors, les nouvelles générations d'artistes comptent assez de talents pour immortaliser et relayer comme il se doit les maîtres dont elles s'inspirent. Tout en administrant une belle preuve de l'amour et de la fidélité voués au beau chant et à la musique de qualité défendus par les ténors d'antan, l'ensemble de Chadi Garfi n'en affirmait pas moins son ambition d'enrichir le patrimoine hérité et l'envie de marquer le chant arabe classique de l'empreinte novatrice des successeurs. La soirée rassembla par ailleurs des musiciens et des instruments originaires d'horizons divers comme pour rappeler que le grand art ne reconnaît pas les frontières et que la musique éternelle se moque des clivages. Soirée d'hommage et de défi Voilà ce qui nous a semblé primer dans les intentions du groupe très jeune que dirigeait Chadi Garfi, digne héritier de son père, notre illustre professeur, compositeur et musicologue Mohamed Garfi. A moins de 35 ans, ce lauréat de l'Institut Supérieur de Musique de Damas, titulaire d'un mastère en piano et direction d'orchestre obtenu à l'Institut Supérieur de Musique de Sousse, est un disciple du chef Nicholas Brochot de l'Orchestre de Monte Carlo au CNR d'Evry et prépare un doctorat de musicologie à l'Université de Rouen. Lubana El Qintar, elle, est une chanteuse d'opéra syrienne qui excelle dans tous les genres classiques et elle nous l'a prouvé lundi soir en reprenant les airs lyriques et romantiques d'Ismahane. Elle fit mieux : à la fin du spectacle, elle interpréta de fort belle manière et sans le moindre accompagnement musical « Yalli hawak chaghel bali », autre chef-d'œuvre de la sœur de Farid El Atrache. Ce dernier fut également ressuscité par le talentueux luthiste Béchir Gharbi, dont Zied Gharsa disait beaucoup de bien à la clôture du Festival de Carthage. Le jeune musicien fut à la hauteur de ces compliments, lundi soir. Mention spéciale d'autre part à l'accordéoniste Sebastien Mazoyer (également pianiste) et à Alexis Contreau le contrebassiste. Ce quatuor de génie ravissait le public à chaque morceau joué en solo, en duo ou avec tout l'orchestre. Soirée d'hommage et de défi en somme, qui dissipe bien des inquiétudes sur l'avenir de la musique et du bon goût dans le monde arabe. Badreddine BEN HENDA ------------------------ Entretiens en marge de la soirée Chadi Gharfi : « Je laisse s'exprimer la virtuosité de mes musiciens » Vous jouez comme un amour au piano, mais vous cherchez davantage à mettre en valeur le talent des autres instrumentistes. Vous êtes un grand modeste ! En tant que directeur d'orchestre, mon but ce n'est pas de briller ni de faire la star. Je fais tout pour mettre à l'aise « mes » musiciens et pour leur permettre d'exprimer leur virtuosité respective. Papa doit être content, ce soir ! J'espère bien ! Sebastien Mazoyer (accordéoniste et 2ème pianiste) : « Un air de famille ! » Au sein du quatuor que vous formez avec Chadi, Alexis et Béchir, n'est-il pas vrai qu'il règne comme une atmosphère de complicité créatrice ? En effet, nous nous entendons bien même si Alexis se produit pour la première fois avec le groupe. En ce qui me concerne, je suis un familier des Garfi puisque j'ai déjà participé à un récital donné en compagnie de Issam (spécialiste de flûte traversière) au centre Ennajma Ezzahra à Sidi Bou Saïd et au concert « Inspirations soufies » présenté par Si Mohamed en 2009 au Festival Carthage. Alexis Contreau (contrebasse) : « Lubana est phénoménale ! » Vous étiez très à l'aise dans vos solos ou lorsque vous accompagniez Chadi. Ce n'est pas le cas de Lubana qui eut du mal à surmonter sa crispation. Certes, mais quand elle s'en est libérée, vous avez sans doute mieux perçu l'étendue de ses talents. Elle est phénoménale. C'est un « monstre » de la chanson.