La place dévolue à la science et à la culture scientifique dans le nouveau modèle de société post révolutionnaire en Tunisie est complètement ignorée et absente dans les discours et les programmes des partis politiques. Un professeur universitaire, particulièrement engagé sur ce plan, nous a exprimé son inquiétude face à cette omission qui « pourrait servir d'argument à beaucoup de déductions négatives, sous nos cieux, comme à l'étranger ». Révélateur plus fiable de l'esprit général, le tissu associatif et médiatique, fortement enrichi après la Révolution, ne semble pas accorder, non plus, une importance particulière à la question. Faut-il y voir une autre illustration de « la panne scientifique caractérisant la culture arabe et islamique », ou pire encore « la haine de la science qui distingue le musulman (l'arabe en fait) », selon l'expression du savant français Ernest Renan, apologiste attitré du colonialisme occidental au 19ème siècle. Des rapports récents de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, les sciences et la culture, l'UNESCO, confirment la persistance du retard scientifique des Etats arabes et islamiques en matière scientifique, y compris la Tunisie ‘'qui investit pourtant une part considérable de son budget dans l'éducation.'' On y lit notamment : ‘'Au vu des indicateurs de performances scientifiques et technologiques, les Etats arabes et islamiques sont en bas du tableau, ne surclassant que rarement les Etats africains.'' La situation n'est guère meilleure quand on se réfère au classement mondial des Universités. Les deux premières, la Turquie et l'Egypte, n'apparaissent dans ce classement que dans le top des 500 premières meilleures Universités dans le monde. Il en est de même pour ce qui est des rapports à la science dans l'école de base. Les résultats d'une enquête internationale récente sur les mathématiques et les sciences réalisée par l'Association internationale pour l'évaluation du rendement scolaire ne sont pas non plus probants. Alors que Singapour, la Corée, Hong Kong et le Japon obtiennent des scores oscillant entre 92 et 96, la Tunisie qui encourage la diffusion de la science et de la culture scientifique, n'obtient que 37, contre 7 pour le Maroc, placé avant- dernier. Certes, comme l'a noté le même professeur universitaire, les sociétés arabes et islamiques n'ont pas le monopole de ‘'l'inculture scientifique''.Plusieurs auteurs européens et américains dénoncent une grave poussée de l'irrationnel dans les sociétés occidentales. Mais les pays occidentaux développés ont l'avantage de posséder des systèmes scientifiques, technologiques et universitaires fonctionnant de façon autonome et indépendante, suivant les grands principes de la science et de la pensée rationnelle. Or, d'après le même professeur universitaire, la modernité dont la maîtrise de la science, la rationalité et la démocratie constituent les fondements essentiels, se construit en s'arrachant à l'univers irrationnel, omniprésent dans toutes les sphères des sociétés arabe et islamique. Le problème est de déterminer en quoi consiste cet univers irrationnel. Certains l'assimilent au fait religieux, et réclament une sécularisation systématique de l'Etat et de la société. Mais il existe des défenseurs du rêve deux en un : la modernité plus la religion. A cet égard, notre interlocuteur nous a dit soutenir la thèse selon laquelle ‘'le déficit scientifique que connaissent les pays arabes et islamiques et la culture arabe et islamique en général est une conséquence du déficit démocratique que connait le monde arabe et islamique. En soldant la cause, on épongerait l'effet. Grâce à la Révolution du 14 janvier et à celle de 25 janvier, la Tunisie et l'Egypte viennent de le faire. L'avenir nous éclairera sur le reste.