Par Khaled GUEZMIR –La décision de la vente de certains « palais » présidentiels par le Dr. Moncef Marzouki, Président de la République, malgré la bonne foi et l'exemple qu'elle veut donner d'une magistrature suprême économe et gardienne du bien public, pose des problèmes autrement plus épineux et plus essentiels qui touchent à la mémoire historique de notre pays et son patrimoine urbain. Disons, tout d'abord, que la vente de quelques « palais » dont certains ne sont que des grandes villas mal entretenues et je pense surtout à Mornag et Aïn Draham, ne rapportera rien de réellement efficace et tangible quant au financement d'un fonds pour l'emploi. 50 ou 100 millions de dinars ne pèsent presque rien dans le budget d'une telle entreprise ou d'un tel programme qui a besoin de beaucoup plus de ressources. Par ailleurs, la vente à des gros « bonnets » locaux ou étrangers, de ces demeures, sera mal perçue et attisera les sentiments de frustration et de disparité des classes sociales. Déjà, on critique bien sévèrement les possesseurs de ces voitures blindées, couleur noire, qui valent plus de 200.000 dinars l'unité, pour accepter qu'un tel ou tel s'approprie même honnêtement et dans la transparence absolue un « palais de la République » ! Je voudrais repartir d'un principe qui est celui de l'inaliénabilité du patrimoine lié à la souveraineté, pour voir qu'à travers l'Histoire, par exemple, la Révolution française de 1789, portée par des irréductibles comme Marat, Danton ou Robespierre, n'ont pas aliéner le « Louvre » et « Versailles », même après la chute de la Monarchie. Idem pour l'Angleterre qui a gardé ses palais et la fameuse Tour de Londres (la London Tower) qui reçoit chaque jour des milliers de visiteurs du monde entier et qui rapportent des millions de Livres sterling à la couronne et à l'Etat britannique. Je pense aussi, avec l'émotion du regret, quand je revois et ressens, en tête, la destruction par des élus de la Constituante tunisienne de 1955, de la salle du Trône, des Beys de la dynastie husseïnite, éteinte en 1957, après 255 ans de règne. Cette salle, qui a été « sacrifiée » par les courtisans qui voulaient plaire à Bourguiba, (ce dernier n'ayant appris le drame qu'une fois le mal devenu irréparable), aurait pu donner un plus, et quel plus, au musée du Bardo et attirer encore plus de visiteurs à ce haut lieu du patrimoine historique de notre pays. A notre humble avis, la meilleure formule et la plus heureuse, c'est celle qu'on a trouvée pour le palais de la République à Rakada, à Kairouan. Ce palais, une miniature du palais de l'Alhambra, de Grenade, en Andalousie espagnole, a été transformé, en 1986, en musée islamique où l'on peut admirer, en ce moment, le « Coran bleu », œuvre inimitable de majesté et de beauté calligraphiques ainsi que les copies du « Coran » de la mère de l'émir aghlabite : Moëz Lidin Allah Al Fatimi, et du souverain lui-même, ainsi que des pièces archéologiques de premier ordre de la ville historique islamique et abbaside « Sabra Al Mansouriya », à Kairouan. Certes, la volonté affichée par le Président Moncef Marzouki de ménager les finances bibliques et de veiller aux deniers de l'Etat est louable et doit être saluée, après 23 ans de corruption grave et de gaspillage insensé et inédits dans l'Histoire de la Tunisie moderne. Mais, à notre avis, nous devons aussi protéger la mémoire de notre peuple et son histoire même celle relative au despotisme et à la dictature. Je verrais bien un musée de la Révolution au palais de Sidi Dhrif, à La Marsa, où la charrette du martyr Mohamed Bouazizi sera exposée en face de tout ce qui a fait notre honte, hier, par les marques du luxe tapageur et de l'arrogance du pouvoir absolu, mais combien dérisoire et illusoire ! Les entrées de ce musée pourraient alimenter un fonds pour éradiquer la pauvreté là où elle se trouve dans notre pays et soulager les plus démunis. N'oublions pas que la pierre est le meilleur gardien de notre mémoire. Regardez le Colisée d'El Jem, construit par l'Empereur romain, Septime Sévère, d'origine africaine. Il trône toujours, malgré les avatars de l'invasion hilalienne ! Quelle grandeur !