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Entre menaces et calculs
Enjeux de la crise franco-turque
Publié dans Le Temps le 05 - 01 - 2012

• De notre correspondant particulier à Paris Zine Elabidine Hamda - Le vote par l'Assemblée nationale française, le jeudi 22 décembre 2011, d'une loi sur le génocide arménien de 1915, pénalisant d'un an de prison et 45.000 euros d'amende la négation du génocide déjà reconnu par la loi depuis 2001 en France, a déclenché une crise diplomatique sans précédent entre la Turquie et la France.
Pour complaire à un lobby arménien très actif, les députés ont provoqué une crise entre les deux pays. Pourtant, Ankara avait lancé de nombreux avertissements. Deux délégations de députés et d'hommes d'affaires Turcs se sont déplacées à Paris pour rencontrer leurs homologues français afin de dissuader le parlement de voter la loi. Le Premier ministre Turc, Recep Tayyip Erdogan, s'était même fondu d'une lettre adressée au Président Nicolas Sarkozy dans laquelle il exprimait sa nette désapprobation : « Cette proposition de loi vise de façon hostile la république de Turquie, la nation turque et la communauté turque vivant en France ». Il prévenait aussi des implications d'une telle décision : « Je veux dire clairement que de telles mesures auront de graves conséquences pour les relations futures entre la Turquie et la France sur les plans politique, économique, culturel et dans tous les autres domaines, et que la responsabilité en incomberait à ceux qui ont pris cette initiative ».
Ce qui a ajouté à l'étonnement et à la colère des milieux Turcs, c'est que la Turquie avait engagé, ces dernières années, un dialogue interne sur le sujet. Des universités libres turques avaient réussi à engager des historiens dans des débats sur le génocide arménien. Les autorités actuelles - qui ne sont pas les auteurs du génocide – et des historiens turcs reconnaissent, d'autre part, que 500.000 Arméniens ont été tués pendant des combats durant la première guerre mondiale et lors de leur déportation forcée vers les provinces ottomanes d'Irak, de Syrie et du Liban. Mais ils ne reconnaissent aucune volonté d'extermination qui justifierait le terme de « génocide ».
La réaction du Premier ministre Turc ne s'est pas fait attendre. Le lendemain du vote, lors d'une conférence de presse à Istanbul, il réplique en accusant la France de « génocide » en Algérie : "On estime que 15 % de la population algérienne a été massacrée par les Français à partir de 1945. Il s'agit d'un génocide", et s'attaque directement au Président français qui "cherche des voix en attisant islamophobie et turcophobie". Il obtient illico presto le soutien de Kassa Aissa , le porte-parole du Front de libération nationale algérien : "Le FLN n'a jamais cessé de réclamer la reconnaissance par la France de ses crimes commis durant la colonisation".
Devant la presse française, Nicolas Sarkozy a essayé de calmer les tensions :"Je respecte les convictions de nos amis turcs, c'est un grand pays, une grande civilisation, ils doivent respecter les nôtres". Selon le Canard enchaîné, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, aurait fustigé la décision gouvernementale d'inscrire le projet de loi dans l'agenda de l'Assemblée en la qualifiant de "connerie sans nom". Il a essayé, de son côté, de calmer le jeu :"Il y a beaucoup de raisons de maintenir entre la France et la Turquie des relations de confiance et même d'amitié, j'ose le mot, parce que nous avons beaucoup de choses à faire ensemble, pas simplement sur le plan économique, mais aussi sur le plan politique et stratégique (…) donc j'appelle à nouveau au sang-froid et à la retenue".
Devant la tournure que prend la situation, les Etats-Unis, dont Ankara est un allié précieux, appellent les deux parties à l'apaisement. Pour ménager son allié turc, lors de la commémoration en avril 2011 de l'anniversaire du massacre d'Arméniens par l'Empire ottoman, le président Barack Obama avait demandé à Ankara la reconnaissance de ces tueries, sans aller jusqu'à les qualifier de "génocide".
Divisions et dissonances
Alors que le ministre arménien des Affaires étrangères exprime à la France "la gratitude" de son pays, le parti islamiste AKP au gouvernement et les deux principaux partis d'opposition turcs adoptent une déclaration conjointe dénonçant une «erreur historique, inacceptable et grave» de la part de la France. Le président Abdullah Gül lance un appel à Paris l'invitant à renoncer à une loi «inacceptable». La presse turque, de son côté, se déchaîne sur les députés français et sur le président Sarkozy. Le quotidien Cumhuriyet raille la décision française : "Une interdiction avec 44 voix”, allusion faite au nombre d'élus présents dans l'hémicycle alors que dehors plus d'un millier de manifestants Turcs donnent de la voix.
Plus grave, le site du Sénat est visé par des pirates informatiques. Des pirates nationalistes et islamistes turcs ( Millikuvvetler, Iskorpitx, Grayhatz) revendiquent le piratage d'une centaine de sites Web dont celui de la députée Valérie Boyer (UMP) initiatrice de la loi. Le groupe Akincilar, portant le nom de la cavalerie ottomane, qui s'était attaqué au site de Charlie Hebdo, s'y mêle en procédant au « défacement » de nombreux sites français.
A Paris, le microcosme politique fait sentir sa petite musique. Un concert de désapprobation de la loi s'organise dans les radios de France : l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin sur RTL et l'ancien président du Sénat Gérard Larcher sur Europe1 expriment leur désaccord. Deux voix importantes de la majorité présidentielle qui s'ajoutent à celle du président actuel de l'Assemblée nationale Bernard Accoyer . L'ancien président du Conseil constitutionnel, le socialiste Robert Badinter exprime « les plus extrêmes réserves » sur la constitutionalité du nouveau texte de loi. François Hollande, candidat socialiste à la présidentielle de 2012, dénonce, quant à lui, « une opération électorale ».De gauche comme de droite, cependant, d'autres voix appuient la nouvelle loi au nom du respect de leurs administrés d'origine arménienne dont le poids électoral (plus de 500.000 voix) n'est pas négligeable à quatre mois d'élections jugées très disputées. On prête même au Président Sarkozy une volonté d'honorer une promesse qu'il aurait tenue à Charles Aznavour lors de son dernier voyage en Arménie en octobre 2010.
Mesures de représailles
Mais, les choses ne s'arrêtent pas là. Dans la foulée, le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, annonce sa volonté de réviser sa relation avec la France. Des mesures de représailles sont prises: rappel de l'ambassadeur turc à Ankara « pour consultation », suspension des visites et gel de la coopération politique et militaire, annulation des exercices militaires conjoints avec la France. La Turquie sèchera un comité économique mixte prévu en janvier à Paris et annulera des projets de jumelages avec la France. La coopération culturelle, scientifique et technologique turco-française sera également gelée. Pour M. Erdogan la Turquie statuera dorénavant au cas par cas sur toute demande militaire française d'utiliser son espace aérien et refusera aux bâtiments de guerre français l'accès aux ports turcs. A ce premier train de mesure, il en promet d'autres. Il prend soin cependant de ne pas brandir l'arme des sanctions commerciales contre la France, sachant bien que la Turquie, faisant partie de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), il lui est interdit de procéder à de telles sanctions.
Mais l'essentiel est ailleurs. De gros intérêts sont en jeu. Le volume bilatéral des échanges avec la France avoisine les 12 milliards d'euros. De son côté, la France a près d'un millier d'entreprises qui opèrent en Turquie. Le risque qu'elles soient écartées des marchés publics, notamment dans le domaine des transports, de l'armement et du nucléaire, inquiète grandement les milieux économiques français.
La Turquie reste un débouché important. Troisième partenaire hors zone euro, Ankara a importé pour 3,8 milliards d'euros de produits français cette année, avec une augmentation de plus de 17%. Elle vient de commander 100 Airbus. Renault est la première entreprise auto exportatrice en Turquie et se prépare à y produire sa première berline électrique. Si l'on ajoute le groupe d'assurance AXA, numéro un en Turquie, et le groupe Carrefour associé à Sabanci dans 215 supermarchés et 27 hypermarchés dans tout le territoire, on s'interroge sur le contraste entre des relations économiques franco-turques prospères et des relations politiques exécrables. Conscient des implications de la crise, le secrétaire d'Etat français au Commerce extérieur, Pierre Lellouche, pense qu'il est urgent de « trouver les voies d'une sortie de crise. Nous avons des intérêts stratégiques majeurs communs entre la France et la Turquie, beaucoup d'intérêts économiques aussi qui ne sont quand même pas négligeables".
En fait, depuis l'élection de Nicolas Sarkozy et son refus de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, les relations politiques entre les deux pays se sont dégradées.
Les enjeux de la crise
En mettant fin aux consultations politiques avec la France, notamment sur le dossier de la Syrie, où Ankara joue un rôle central, Erdogan dévoile les véritables enjeux de cette crise. Selon de nombreux observateurs occidentaux, la crise prend de telles proportions car les différends réels entre les deux pays touchent à des dossiers sensibles pour Ankara, principalement l'adhésion à l'UE et le nouveau leadership de la Turquie dans son environnement géostratégique.
Devant le niet qui lui est opposé par Paris quant à son adhésion à l'UE, la Turquie a cherché d'autres débouchés pour soutenir sa croissante de pays émergent (plus de 7% de croissance par an). Ankara a pu dépasser la question des revendications syriennes sur le sandjak d'Alexandrette, concédé à la Turquie lorsque la Syrie était sous mandat français. Elle a entamé des négociations avec Damas qui ont abouti à un rapprochement dans le cadre de la diplomatie prônée par Ahmet Davutoglu, l'actuel ministre des Affaires étrangères turc. En 2007, année de l'élection de Nicolas Sarkozy, les deux capitales signent un accord de libre-échange, élargi ensuite au Liban et à la Jordanie. En 2009, un autre pas est fait : instauration d'un Conseil de coopération stratégique et organisation d'exercices militaires conjoints. Ce qui a laissé penser à une possibilité d'axe Ankara-Damas-Téhéran. La Turquie change d'attitude envers le régime de Bachar Al Assad une fois son armée, qui était hostile à une entreprise contre la Syrie, mise au pas par Erdogan.
Depuis quelques années, la Turquie dirigée par l'AKP, dont la doctrine est proche de celle des Frères musulmans, a tissé un réseau d'influence auprès des mouvements islamistes arabes. Ces derniers, soucieux de se proposer en tant qu'alternative aux régimes dictatoriaux arabes, n'hésitent plus à se réclamer du « modèle Turc » élaboré sous la houlette d'Erdogan. Le positionnement de la Turquie au sein de l'Otan lui confère un rôle charnière entre l'Europe et le Moyen –Orient. Elle est, de ce fait, au centre des négociations entre L'Arménie et l'Azerbaidjan. D'ailleurs, le présiden Abdullah Gül en profite pour demander à la France de quitter le groupe de Minsk qui gère cette crise. L'Azerbaïdjan, allié de la Turquie, a par ailleurs «condamné» l'adoption de la loi française.
Après le déclenchement des révolutions arabes, la Turquie cherche à étendre son influence auprès des régimes issus des révolutions. Au moment où se confirme le désengagement des Etats-Unis de la région (retrait d'Irak, renoncement à une solution au conflit israélo-palestinien, prochain retrait d'Afghanistan), il semble qu'une compétition géostratégique s'ouvre entre la France et la Turquie. Le ralliement de la Turquie à l'intervention en Libye se fera à la condition, formulée par Ankara, de confier les opérations à l'Otan, ce qui n'était pas l'option française de départ. En plus, suite à la chute de Kadhafi, c'est la Turquie et le Qatar qui déversent des millions de dollars en liquide pour aider les Libyens laissant les Français sur la touche.
Cette compétition larvée touche aujourd'hui la question Syrienne. C'est d'abord Ankara qui suggère l'instauration d'une zone tampon à la frontière avec la Syrie. Mais c'est la France, consciente de l'impossibilité pour elle de conduire une guerre contre la Syrie, qui reprend l'idée turque et la traduit en « couloir humanitaire ». Dans ce conflit, Erdogan est conscient que son pays est incontournable. La Turquie, contrairement à la France qui a rejoint le commandement intégré de l'Otan avec Sarkozy, joue un rôle stratégique au sein de l'Organisation transatlantique. A ce titre, elle est pleinement engagée dans la défense antimissile et la protection du Sud-est de l'Europe.
La perspective d'une intervention militaire, ou humanitaire, en Syrie place Ankara au centre du dispositif de l'Otan : déploiement aérien espace-tampon, zone d'exclusion aérienne, camps de réfugiés, sanctuaire à l'Armée Syrienne Libre, tout passe par le territoire Turc.
Sur un autre plan, la détermination des dirigeants turcs semble aller de pair avec les défis qu'ils ont à relever pour stabiliser la région kurde toujours en ébullition. Le risque pour eux, c'est de voir se défaire l'Etat en Syrie, donnant aux kurdes la possibilité d'établir un autre Kurdistan autonome à la frontière avec l'Irak. Fâcheux exemple que les 15 millions de Kurdes de Turquie, considérés comme des citoyens de seconde zone, pourraient exploiter pour réclamer les mêmes droits.
Sur un plan géostratégique, la Turquie jouit à la fois du soutien des américains et des Frères musulmans, force politique émergente dans le monde arabe. Ce positionnement explique la virulence de sa réaction à l'égard de la France, soucieuse d'avoir toujours un pied au Levant, et lui donne, pour l'instant, une longueur d'avance dans la compétition régionale.


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