Sadok Chourou, dirigeant d'Ennahdha, préconise un traitement de choc pour mettre fin aux sit-in, grèves et blocages des routes : «Tuer, crucifier et couper leurs membres aux protestataires!» Sondes Garbouj, présidente de la section tunisienne d'Amnesty International : «Un appel au meurtre extrêmement dangereux pour la paix sociale» Chokri Belaïd, secrétaire général du Mouvement des Patriotes Démocrates : «Une preuve irréfutable du double langage du mouvement islamiste» Ajmi Lourimi, membre du Bureau politique d'Ennahdha : «Des propos déplacés qui n'expriment pas la position officielle du parti» Coup de tonnerre dans la classe politique tunisienne ! Lors d'un débat consacré à l'examen de la situation économique et sociale tenu lundi à l'Assemblée constituante, Sadok Chourou, élu du mouvement islamiste Ennahdha, a préconisé un traitement de choc destiné à en finir avec la contestation sociale qui secoue le pays depuis plusieurs semaines. Puisant son discours dans un discours purement religieux, l'ex président d'Ennahdha a estimé que les personnes qui observent des grèves et des sit-in ou recourent au blocage des routes méritent le châtiment énoncé dans le verset 33 de la Sourate 5 du Saint Coran, qui recommande de tuer, de crucifier ou de couper les mains et les jambes de mécréants qui déclarent la guerre contre Dieu et son Prophète. Selon les traductions du Livre Saint, ce verset stipule littéralement que «la sanction de ceux qui font la guerre contre Allah et Son messager, et qui s'efforcent de semer la corruption sur la terre, est qu'ils soient tués, ou crucifiés, ou que soient coupées leur main et leur jambe opposées, ou qu'ils soient expulsés du pays. Ce sera pour eux l'ignominie ici-bas; et dans l'au-delà, il y aura pour eux un énorme châtiment» Contrairement au Premier ministre Hamadi Jebali, qui a fait, dans son discours prononcé devant la Constituante, une distinction claire entre des grèves et des sit-in légitimes et d'autres protestations relevant des règlements de compte et des magouilles politiciennes, Sadok Chourou a qualifié tous les protestataires d' «ennemis du peuple cherchant à saper le travail d'un gouvernement élu». Verset sorti de son contexte L'intervention de l'ex-universitaire, qui a passé plus de vingt ans de prison dont quatorze en isolement dans les geôles de Ben Ali pour «tentative de renversement du régime», a provoqué une volée de bois vert auprès des représentants de l'opposition et de la société civile. Ces derniers estiment que le verset du Coran cité par le dirigeant d'Ennahdha, que beaucoup d'activistes des droits de l'Homme avaient qualifié de « Mandela tunisien» a été, pour le moins, sorti de son contexte. « Je suis complètement scandalisée par les propos tenus par Sadok Chourou qui sont, à mon sens, extrêmement dangereux pour la paix sociale en Tunisie. Il s'agit, en fait, d'un appel au meurtre et à la violence lancé par une personne qui doit sa survie aux conventions internationales relatives aux droits de l'Homme et à la mobilisation de la société civile tunisienne en sa faveur (Sadok Chourou a été condamné à la peine capitale en 1992, NDLR)», s'offusque Sondès Garbouj, présidente de la section tunisienne d'Amnesty International. Et d'ajouter : « le verset du Coran évoqué par celui qui avait dirigé Ennahdha après l'exil de son chef Rached Ghannouchi en 1988 a été complètement déformé et sorti de son contexte. Ceux qui observent des sit-in ou des grèves ne sont en aucun cas des mécréants qui font la guerre à Dieu et à son Prophète, mais des personnes qui expriment pour la plupart des revendications sociales légitimes». La présidente de l'antenne tunisienne de l'organisation internationale de défense des droits de la personne humaine se dit d'autant plus inquiète que les déclarations de Sadok Chourou pourraient être interprétées comme une fatwa autorisant le meurtre des protestataires. « La Tunisie compte aussi bien des gens raisonnables et responsables que des fanatiques religieux qui pourraient s'appuyer sur ces propos pour légitimer la violence contre les protestataires », indique-t-elle. Fatwa à peine voilée De son côté, Chokri Belaïd , secrétaire général du Mouvement des Patriotes Démocrates (MOPAD), une formation d'extrême gauche souvent accusée de fomenter des troubles sociaux, estime que les déclarations de Chourou constituent « une fatwa à peine voilée» qui autorise aux islamistes radicaux de recourir à la violence et même à l'assassinat des opposants et des protestataires indépendamment de leurs motivations. « La violente diatribe de l'élu d'Ennahdha contre les protestataires est une preuve supplémentaire et irréfutable du double discours du mouvement islamiste Ennahdha. D'une part, on crie sur tous les toits que ce parti s'est reconverti à la démocratie et aux droits de l'Homme et de l'autre, on appelle à tuer et à démembrer les contestataires et les opposants », souligne-t-il. Le dirigeant du MOPAD estime également que la dernière saillie de Sadok Chourou «ne laisse pas l'ombre d'un doute sur le fait que le mouvement Ennahdha récuse le principe de l'Etat civil et du droit positif », tout en appelant la société civile et l'ensemble de la classe politique à « barrer la route à la mise en place d'une dictature théocratique». En réponse à ces accusations, Ajmi Lourimi, membre du Bureau politique d'Ennahdha, note que les déclarations de Sadok Chourou « n'expriment pas la position officielle du parti », qui a été clairement exposée par le Premier ministre Hamadi Jebali. «Le cheikh Chourou, dont les propos sont, il est vrai, déplacés s'est exprimé comme étant un membre de l'Assemblée Constituante. La position officielle d'Ennahdha ne peut être exprimée que par son secrétaire général (Hamadi Jebali, NDLR), un communiqué officiel ou le président du groupe des élus à l'Assemblée », précise-t-il. Ajmi Lourimi indique, par ailleurs, que l'ancien président d'Ennahdha n'a fait que « chercher à mettre en exergue la gravité des actes de vandalisme et de blocage des routes qui accompagnent souvent les mouvements de protestation».