Il faut bien que réparation soit faite ; il faut bien interpeller les consciences – et l'Histoire – quant au retard pris par la Démocratie à se mettre en place ; il faut surtout remonter aux sources du mal mais aussi aux sources du bien. Un homme comme Moncef Marzouki a, sans doute, beaucoup de choses à reprocher au règne de Bourguiba et à Bourguiba lui-même. Et pourtant, il lui restitue sa place, ostensiblement effacée par Ben Ali, au Palais de Carthage. Les générations Bourguiba ont, d'ailleurs toutes, sous l'effet de ce Pathos persécuteur, beaucoup à redire sur le despotisme éclairé du « Combattant Suprême ». Il n'avait pas vu la vieillesse venir, mais il se savait en plein naufrage. C'est ce que lui reprochent, précisément, ses enfants, c'est de s'être laissé entraîner dans la sénilité. Il reste que le plus vieux parti d'Afrique et du Monde arabe, le Destour, avec les « vrais Destouriens » comme les appelait Mathilde Bourguiba, ceux-là mêmes qui ont osé dire « non » face aux dérives miliciennes du PSD, ne méritent pas d'être jetés, tous autant qu'ils sont, à la poubelle de l'Histoire. Ce à quoi appelle, un grand militant perspectiviste tel que Gilbert Naccache, représente, pour ainsi dire une condamnation de l'Histoire. Car lui-même est le produit d'un paradoxe : une intelligentsia bien-pensante distillée par un système éducatif avant-gardiste, face à un dictateur éclairé et qui a autorisé la vente dans les librairies de « Cristal », le livre qu'a écrit Gilbert Naccache, en prison sur les feuilles platinées des paquets de « Cristal ». Tout comme il autorisait, en 80, chef d'œuvre de Hélé Béji : « Désenchantement national ». Maintenant que les Nahdhaouis et d'autres partis assimilent les 23 ans de Ben Ali au règne de Bourguiba pour concocter cette ritournelle : « 50 ans de dictature », cela équivaut à mêler les serviettes et les torchons. Et qu'on veuille exclure les Destouriens, ou du moins, l'âme destourienne originelle, du nouveau champ politique renvoie à un certain déni d'Histoire, une espèce de négationnisme au nom duquel a été fabriquée la machine à broyer la mémoire collective et qui s'appelait RCD.