L'organisation internationale des Droits de l'Homme, Human Rights First (HRF) vient de publier un rapport sur la transition démocratique en Tunisie. En analysant la situation des Droits de l'Homme et des libertés dans le pays, l'organisation met en relief des risques encourus par la multiplication des accusations de blasphème. Il est une évidence à ne pas nier que le manque de culture sociale et le déficit de civisme fassent tache d'huile. Neil Hicks, haut responsable de HRF, affirme en substance que la « façon avec laquelle le blasphème et les discours jugés offensant pour la religion ou les symboles religieux sont traités par la législation tunisienne est une question controversée dans le processus de transition ». Il ajoute que « les droits et libertés seraient menacés par tout renforcement des lois criminalisant les discours jugés blasphématoires ou offensant. Plusieurs propositions ont été faites dans ce sens depuis la Révolution». L'organisation reconnaît que la violence inspirée par des allégations de blasphème n'est pas l'apanage de la Tunisie. Toutefois, HRF attire l'attention sur le fait que les lois sur le blasphème peuvent être utilisées par certains éléments de la société pour limiter les débats et servir de prétexte pour les gouvernements afin de priver du droit de parole à leurs opposants. Le rapport attire l'attention sur plusieurs incidents violents liés au blasphème. C'est le cas de l'attaque contre l'ambassade américaine et le pillage de l'école américaine le 14 septembre 2012, une agression qui ne devrait pas avoir lieu s'il n'y avait pas laxisme dès le début de la part des autorités sécuritaires. Le droit de manifester est reconnu à travers le monde, mais aller saccager les biens d'autrui, cela relève du vandalisme. La violence politique est considérée comme la plus grande menace à la transition démocratique. C'est le point de vue de l'écrasante majorité des militants de la société civile et des responsables politiques. Ceux qui ont été manipulés pour assassiner Chokri Belaïd, ont dû subir un lavage de cerveau pour leur faire croire que ce dernier n'était pas musulman. Human Rights First apprécie que la Constituante ait pris la décision de ne pas inclure dans le brouillon de Constitution la « criminalisation des attaques contre ce qui est sacré ». La notion de blasphème ne figurera pas dans la Constitution. Le sacré est très difficile à définir pour le situer précisément dans son contexte. Il faut rappeler qu'Ennahdha avait placé cette notion au cœur de son programme politique, chose qui avait généré une levée de boucliers au sein de la société civile qui y voit un prétexte pour justifier les atteintes à la liberté d'expression. L'organisation, tout en estimant à sa juste valeur cette position, cela n'empêche qu'elle exprime des appréhensions des risques d'utiliser les lois existantes et les accusations de blasphème pour étouffer la contestation pacifique. Cela pourrait mener à disloquer la société entre laïcs et musulmans. D'ailleurs deux jeunes tunisiens Jabeur Mejri et Ghazi Beji avaient été condamnés à 7 ans et demi de prison et une amende de 1200 dinars suite à une accusation de blasphème et publication de caricatures et écritures jugées comme éléments troublant l'ordre public et transgressant la morale. Le rapport exhorte le gouvernement tunisien à prendre des mesures pour renforcer la protection juridique de la liberté d'expression et barrer la voie à ceux qui s'érigent en justiciers jusqu'à utiliser la violence pour protester contre ceux qu'ils considèrent comme insultant la religion. C'est le cas de la « police salafiste » qui se permet d'attaquer vendeurs d'alcool, pour se substituer à l'Etat. La dernière mouture du projet de Constitution ne reconnait pas la liberté de conscience. Ce qui laisse la porte ouverte à toutes les interprétations possibles. Ne faudrait-il pas légiférer pour interdire les accusations de blasphème ? D'ailleurs, le président provisoire Moncef Marzouki avait invité le 25 février dernier, l'Assemblée Nationale Constituante « à trancher la question à travers l'adoption d'une loi qui incrimine les accusations de blasphème, fait encourir à leurs auteurs des poursuites pénales et préserve la cohabitation, la fraternité et la solidarité entre les Tunisiens ». « Personne n'a le droit de porter de telles accusations contre un concitoyen », car ce genre de comportement « risque de conduire à la violence ce qui est répressible par principe », ajoute le président. C'était une réaction contre les excès constatés. L'Union Générale Tunisienne du Travail et plusieurs organisations de la société civile comme la Ligue Tunisienne de Défense des Droits de l'Homme (LTDH) organisent le 18 mai courant un congrès national contre la violence. Il aura, entre autres, à traiter de la violence exercée sous une couverture religieuse.