Nous croyions les temps de la chasse aux sorcières révolus. En cette période, annonciatrice de liberté, de justice, de nécessaire prévalence des institutions de l'Etat, personne ne risque plus d'être persécuté pour ses idées ou pour son idéologie. Nous le devons aux jeunes et aux martyrs de la Révolution qui se sont soulevés pour la dignité, l'emploi et pour la fin des déséquilibres régionaux. En moins d'un mois, tout le système Ben Ali volait en éclats. La Tunisie enclenchait le « Printemps arabe », avec une onde de choc large spectre. Maintenant, avec ce qui s'est passé en Egypte, avec ce qui se passe en Libye, au Yémen, en Syrie et, partout, où on a récupéré la Révolution tunisienne, ce « Printemps », finalement, n'est resté ensoleillé que chez nous, malgré les querelles politiques, les nouvelles/anciennes résurgences de la dualité Nord/Sud – et un jour ceux qui l'ont refabriquée en répondront. Aujourd'hui, néanmoins, la toute nouvelle et fragile démocratie tunisienne est soumise à un énième stress électoral. Trop d'élections en si peu de temps, à cause d'un code électoral biscornu, conçu avec beaucoup de calculs saugrenus et partisans par la défunte ANC. Le fait est là, cependant : il faut s'y plier. Le premier tour de la présidentielle a été marqué par l'outrance du verbe et les dérapages des actes. Il ne s'agissait pas d'une confrontation de visions unifiées pour la Tunisie – puisque même si la Constitution ne confère qu'une liberté de manœuvre limitée au Président, celui-ci est investi de la mission historique d'incarner les valeurs de la Nation, l'intégrité territoriale du pays, son indépendance, son identité et sa souveraineté : ce n'est pas peu. Moncef Marzouk, tout autant que Béji Caïd Essebsi, étaient-ils dans cette mise en perspective au premier tour ? En fait, chacun d'entre eux s'est réinventé un messianisme taillé sur mesure. Le premier, vivant sur les lubies que lui conféraient son statut de militant historique des droits de l'Homme, inventait un terme qui a fait fureur pour discréditer son adversaire : « Ettaghaouel ». C'est-à-dire, la concentration des pouvoirs et, par ricochet, il faisait miroiter la menace du retour à l'Etat oppresseur, grâce « à la machine destourienne et Rcédiste » qu'aurait mise au point Béji Caïd Essebsi, toujours, selon les propos de Marzouki. Ce n'est pas parce que Béji Caïd Essebsi a été, d'abord, Directeur de la Sûreté nationale, puis ministre de l'Intérieur de Bourguiba, et très longtemps après président du Parlement, pour une brève période avec Ben Ali, qu'il porte en lui des gènes dictatoriaux. Oublie-t-on qu'en 72, il avait claqué les portes du PSD, avec les Ahmed Mestiri, les Hassib Ben Ammar et les autres... Sauf que, dépeint comme étant l'ogre (Ettaghouael et donc, Al Ghoul), Béji Caïd Essebsi a réagi, quoique vainqueur. S'il a raison de dénoncer le soutien des Recoba and co et des imams prédicateurs à Marzouki, il n'était pas tactiquement très inspiré de mettre les bases nahdhaouies et les « Djihadistes camouflés » dans le même sac qu'eux. Erreur stratégique, peut-être. Parce que les Nahdhaouis, persécutés par Ben Ali, vivent dans l'angoisse de la survivalité, née du syndrome carcéral et du risque de le revivre. En tous les cas, dimanche soir, Adnène Moncer, a pathétiquement « exprimé » à leur place, ce syndrome carcéral, lui, qui n'a pas passé une seule journée en prison. Il a occulté, tant qu'à faire, les tirades dithyrambiques de Marzouki en faveur de Ben Ali, appelant même à voter pour lui. Il est vrai qu'en 87, Ben Ali avait roulé tout le monde dans la farine... Mais, alors, pourquoi fait-on en sorte qu'il s'invite à ces élections ?