(Ancien fonctionnaire international – Ancien Directeur des Services de Sécurité de l'UNESCO) Succédant depuis quelques années à une série d'attentats meurtriers, l'agression tragique et infâme contre le Musée du Bardo à Tunis, le 18 mars 2015, a pris pour cible privilégiée la Tunisie qu'un terrorisme barbare enfanté par une pensée religieuse obscure et rétrograde issue des ténèbres au visage hideux veut déstabiliser et assassiner l'espoir dans cette région du monde, dont la Tunisie est le phare, celui du respect de l'Etat de Droit, de l'émancipation de la femme et du renforcement du respect des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Le Musée du Bardo, espace sacré, exceptionnel dans le monde arabo-islamique, illustre par son riche et unique patrimoine archéologique, historique, culturel et les splendeurs de sa civilisation, l'une des plus anciennes démocraties du monde et le dialogue permanent des civilisations dans toutes ses composantes y compris multiculturelles et religieuses. Ce passé et cette culture avec leur dimension symbolique mythique demeurent toujours présents et vivaces à la fois dans notre imaginaire et notre âme. Terre de culturel, de civilisation millénaire, d'ouverture, d'accueil, de tolérance où le vivre ensemble est apprécié par juifs, chrétiens et musulmans vivant dans une ambiance fraternelle, avec en particulier la plus vieille communauté juive au monde présente depuis plus de deux millénaires, la Tunisie unie, stable et solidaire instaure progressivement la démocratie sur la base d'élections réellement libres assises sur le socle d'une Constitution civile dont rêvent tous les peuples du monde arabo-islmique. La timide renaissance prometteuse de son économie encore très fragile et vulnérable a d'autant plus de mérite que la Tunisie n'a pas bénéficié de la rente pétrolière et gazière ni de richesses et de ressources minières. Quelles que soient ses faiblesses, ses lacunes et ses difficultés économico-sociales, elle a de tout temps misé sur elle-même, sur les forces vives de la Nation, sur son intelligence, sa pensée créatrice et son adaptation notamment par la maîtrise des technologies nouvelles et de la révolution numérique à un monde moderne en incessant devenir. Malheureusement, que voit-on actuellement ? Chez une minorité de fanatiques, la mystique religieuse est dévoyée, conjuguée avec un obscurantisme imbu de préjugés religieux, de haine et d'indigence d'esprit qui génère et véhicule des pratiques rituelles d'un autre âge en utilisant toutes les ressources ingénieuses de la manipulation, du mensonge et de la calomnie. La stratégie terroriste vise, selon un plan machiavélique, à susciter par la terreur la division, l'instabilité politique et l'affaiblissement économico-social et culturel et à briser l'unité nationale. Dès lors, la misère sociale ainsi recherchée, provoquée et alimentée serait le ferment et le terreau pourvoyeurs d'une génération de jeunes terroristes endoctrinés, égarés dans les chemins de la vie, casqués idéologiquement et marchant en rang et en formation derrière une sinistre musique mortifère. D'où la nécessité impérieuse de contrarier ce dessein et lui arracher le masque de la haine. Sur les 620.000 chômeurs, 250.000 sont de jeunes diplômés de l'enseignement supérieur. Il est évident que par l'instauration d'une économie forte et d'une fraternelle démocratie sociale, s'inscrivant dans une démarche réellement participative, il sera possible d'asphyxier le terreau de la désespérance sociale qui nourrit les populismes et les mouvements terroristes armés et neutraliser certaines pseudos organisations non gouvernementales et ces associations qui facilitent et financent le départ de ces jeunes. On évalue à 4.000 le nombre de Tunisiens qui ont rejoint le Djihad en Syrie, en Libye et ailleurs, 500 sont revenus au pays à l'affût d'actions criminelles. 5.000 ont été neutralisés et interdits que partir à l'étranger sur le théâtre des opérations. L'Europe, par certains côtés indifférente, n'a pas encore réellement pris pleinement conscience de ce mal contagieux et des dangers et enjeux géopolitiques et géostratégiques qui se jouent à quelques lieues de ses frontières. Sa réponse est inadaptée face à ces défis. Les efforts méritoires de la France sont insuffisants, notamment en matière idéologique, dans la mesure où ils ne tiennent pas suffisamment compte du fait que face à ce danger terroriste spécifique le moment est venu de faire preuve d'imagination féconde car force est de reconnaître que la plupart des pays ne sont pas préparés à ce type de terrorisme et paraissent démunis. Par-delà l'approche sécuritaire classique et traditionnelle devant nécessairement évoluer, il est impératif d'appeler à une remise en question du concept étroit et étriqué de sécurité, pour mieux en gérer la complexité et ses différentes composantes. Appréhendée sous un angle intersectoriel et multidisciplinaire la sécurité doit reposer sur un faisceau de paramètres englobant notamment l'idéologie, l'éducation, la culture, l'économie, la science, l'histoire, la religion, l'information, la communication et surtout une vision politique anticipatoire, utilisant, pour être efficace, les mêmes armes que celles d'un implacables et invisible adversaire surgissant très souvent là on ne l'attend pas. Il est évident que les jeunes exclus réfugiés dans une religion mal comprise et dénaturée qui, dans leur ghetto souffrent d'un rejet multiforme provoquant un repli sur soi, frustration, rancune, haine générant l'éclosion d'une violence aveugle. Il ne faut pas accepter cette fatalité et ignorer ces réalités. Il faut donc impérativement aller à la racine même de ce mal profond, de cette misère et de cette ignorance en commençant par investir dans l'éducation et surtout à mieux mesurer et apprécier la situation d'ensemble du seul pays arabo-africain qui ait réussi un début de transition démocratique menacé sur le plan intérieur par une situation politique, économique et sociale très difficile dont il faut colmater d'urgence de multiples brèches. En outre pays voisin, la Libye désarticulée et disloquée, sans Etat, baignant an un chaos destructeur, en proie au règne de milices et réseaux terroristes extrémistes surarmés, fait peser une lourde menace non seulement sur la Tunisie, envahie par près d'1,4 million de réfugiés libyens (que dire de l'agitation et du tollé soulevés en France lorsque quelque 9.000 Tunisiens ont exprimé le vœu de s'y rendre ?), mais aussi menace sur la région méditerranéenne et également sur l'Union européenne ne serait-ce que, abstraction faite du trafic de la drogue et des armes, par la mobilisation de centaines de passeurs chargés de l'envoi massif de milliers d'immigrants clandestins vers l'Italie et même la Grèce. La menace globale et planétaire du terrorisme peut et devrait favoriser une solidarité commune des pays du Maghreb et partant d'une meilleure prise de conscience de leur nécessaire intégration politique, sécuritaire, économique et culturelle en une union à laquelle aspirent tous les peuples du Maghreb. La raison et le sentiment le leur commandent. A moins que, intéressé par un marché de cent millions de personnes, le système financier international juge le moment opportun d'imposer,, il en a les moyens, une Union du Maghreb tant souhaitée et clamée officiellement depuis bien des décennies. Aujourd'hui, des forces obscures veulent tuer la flamme de l'invincible espoir du peuple tunisien meurtri. Le soutien moral de l'Europe, les condamnations officielles du terrorisme, les visites d'amitié, les déclarations et les discours de solidarité regorgeant de promesses ne suffisant pas. Que faire ? Au niveau des gouvernements, en particulier de la France et de l'Europe préoccupées prioritairement par l'Ukraine et la Grèce, des institutions internationales, FMI, Banque mondiale, Banque africaine de développement, on attend des gestes forts. La panoplie est large et connue : compte-tenu des enjeux et des défis à relever, elle devrait passer de l'aide bilatérale et multilatérale à un véritable plan Marshall. Refusant toute mesure d'intimidation d'un terrorisme barbare, l'expression de notre solidarité agissante doit se manifester aujourd'hui par une initiative simple : Européens et Français surtout, agences de voyages et croisiéristes, tours opérateurs, médias, hommes politiques, artistes, acteurs sociaux, culturels, économiques, institutionnels et associatifs doivent se mobiliser pour se rendre massivement en vacances dans un pays qui prêche, prône et transmet à ses enfants les valeurs démocratiques que sont les libertés, le respect de l'Etat de droit, de la dignité, de la personne humaine, la tolérance, un pays ami qui a le sens de l'hospitalité et de l'amitié, dans la patrie de ce grand visionnaire qu'était Habib Bourguiba, le premier Président de la République. Une chose est sûre : face à l'adversité, au terrorisme aveugle sans foi ni loi et à la folie de prédicateurs, gourous et jeunes illuminés, la Tunisie moderne, fière de son modèle de société, symbole de l'aube d'un printemps arabe et dont la culture de paix demeure profondément ancrée dans ses racines restera toujours unie et debout. Nous devons sortir de notre position de spectateurs attendris et compatissants et montrer concrètement que nous serons toujours à ses côtés dans son noble combat pour la démocratie et la liberté. Le destin de l'Europe se joue aujourd'hui en Tunisie. Le sentiment et son propre intérêt lui imposent impérativement de l'aider. Demain, il sera trop tard. D.B - Ancien Ministre plénipotentiaire - Ancien Secrétaire général du Groupe des diplomates francophones (Paris) - Ancien Délégué permanent près l'UNESCO - Ancien Directeur des Services de sécurité de l'UNESCO au siège et hors-siège. - Ancien membre du Comité chargé de l'analyse de la Problématique mondiale (UNESCO) - Vice-président de l'Association internationale des élus et des amis de l'Ecologie - Consultant international (ONU/UNESCO) - Membre de l'Association des Ecrivains de langue française - Essayiste - Chroniqueur presse internationale - Chevalier de la Légion d'honneur.
