Le Dr Ali Al Marri est une personnalité internationale que les tunisiens connaissent, car il est l'avocat des Nations Unies chargé de la restitution des biens spoliés. Il a rendu et rend encore beaucoup de services à la Tunisie. Le journal « Le Temps » l'a rencontré en marge de la 4ème édition du Forum arabe pour la restitution des fonds et a eu avec lui l'entretien suivant : Le Temps : Dr Ali Al Marri, en tant qu'avocat des Nations Unies chargé de la restitution des fonds spoliés, où en est le dossier des fonds spoliés et comment vous appréciez la coopération des pays concernés dans ce domaine ? Dr Ali Al Marri : La Tunisie est le seul pays arabe qui a pu récupérer une partie de ses biens spoliés. Cependant, il existe beaucoup de pays en Europe, en Amérique latine, et des pays arabes du Golfe qui ne coopèrent pas et même s'ils semblent coopérer , cette coopération est formelle et sans aucun résultat palpable. A travers votre longue expérience en tant qu'avocat des Nations Unies chargé de la restitution des fonds spoliés qu'est-ce que vous avez fait pour les pays du printemps arabe ? Les pays du printemps arabe n'ont pas la même position. La situation peut être comparée à des cas différents de malades. Certains acceptent de se faire soigner et de prendre des médicaments tandis que d'autres refusent, rendant la tâche du médecin difficile et compliquée. Et le cas de la Tunisie ? La Tunisie est le seul pays qui a fait des efforts et agit de façon correcte en vue de récupérer ses biens spoliés . S'agissant des autres pays du printemps arabe, certains n'ont pas accordé d'attention à la question, d'autres ont accordé la priorité aux problèmes sécuritaires et d'autres enfin sont complètement désintéressés de la restitution de leurs biens spoliés. Il y en a aussi qui veulent récupérer leurs biens par leurs propres moyens. On est dans la situation de celui qui se trouve entre le marteau et l'enclume. Des Etats qui ne sont pas sincères à l'égard de leurs peuples et d'autres qui ont des fonds spoliés mais qui ne se hâtent pas à les récupérer. Il existe des Etats arabes qui appréhendent les Nations Unies, ne se hâtent pas et refusent de délivrer des procurations aux Nations Unies. Que voulez-vous qu'on fasse lorsqu'un malade refuse de prendre ses médicaments. D'où vient l'atermoiement de certains Etats en ce qui concerne la restitution des biens spoliés à la Tunisie ? Effectivement, il y a atermoiement. C'est , entre autres ,le cas d'un pays européen auprès duquel des fonds tunisiens spoliés sont déposés. J'ai cherché à les faire restituer. Les autorités judiciaires de cet Etat m'ont demandé une procuration de l'Etat tunisien que j'ai pu obtenir grâce à la diligence du gouvernement tunisien qui a répondu positivement à ma demande, notamment le ministre de la justice de l'époque Mohamed Salah Ben Aissa et aussi le président de la république Béji Caid Essebsi qui m'a téléphoné et m'a encouragé. J'ai pu donc avoir la procuration du gouvernement tunisien, mais les responsables de l'Etat européen concerné ont demandé une procuration de la personne qui détient le compte courant, et lorsque nous leur avons présenté la procuration, ils ont répondu qu'il y a conflit d'intérêt, en disant comment l'avocat peut représenter les deux parties en conflit à la fois. Dr Ali Al Marri, en suivant le dossier, nous remarquons que la Suisse, autant elle a montré devant l'opinion et les moyens d'information sa disposition à coopérer, dans ce domaine, autant elle fait l'inverse en cachette, et cherche à retarder la restitution des fonds spoliés. Le procureur général suisse a préconisé une conciliation collective comme condition ? Pour ma part, j'estime qu'il s'agit de prétexte fallacieux pour se dérober et une sorte de tromperie. Mais la Tunisie n'est pas une proie facile à tromper. Or, chaque dossier constitue un cas particulier et on ne peut pas les traiter tous de la même manière. A travers mes entretiens avec le président Béji Caid Essebsi et l'ancien président Moncef Marzouki, je suis persuadé que les tunisiens ne veulent pas prendre ce qui ne leur appartient pas et veulent qu'on donne à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Les tunisiens ont été compréhensifs. Mais, l'obstacle réside ailleurs. C'est-à-dire ? Je veux dire que les pays où se trouvent déposés les fonds spoliés. Or, ces pays ne veulent pas restituer les fonds spoliés. La question n'est pas facile. Des fois, ils invoquent des considérations juridiques, et d'autres fois, des considérations politiques. Je présume qu'il y a une mauvaise intention et qu'il faut changer de conduite. Comment ? Il faut faire preuve de plus de fermeté et élever le ton. Les pays qui refusent de restituer les fonds spoliés peuvent être assimilés à des pirates qui ont volé et pillé les biens des pays victime de la spoliation. Il faut restituer ces fonds sans quoi c'est le règne de la loi du plus fort et je suis certain que la Tunisie va retrouver sa force. Elle est peut être aujourd'hui faible en raison des difficultés qu'elle affronte et des retombées des révolutions qu'elle a connues , mais celui qui connait bien la Tunisie, sait qu'elle saura surmonter ces difficultés et retrouvera toute sa vitalité. Quelles sont les démarches pour l'avenir ? Il y a atermoiement concernant certains dossiers. Les juges tunisiens doivent réaliser que le but principal est la restitution des biens spoliés et non pas la vengeance ou quelque chose du genre. Le peuple tunisien abhorre la vengeance et ne cherche à punir personne sans raison. Et qu'en est il de l'action en justice intentée contre vous par l'épouse de l'ancien président Ben Ali après la restitution par le Liban des avoirs tunisiens saisis et estimés à 28 millions dollars. ? L'affaire est encore entre les mains de la justice. Mais en ce qui me concerne, je bénéficie de l'immunité en tant qu'avocat des Nations Unies. Du reste, je n'ai fait qu'accomplir mon devoir, alors que le Liban est parmi les petits pays qui ont coopéré dans ce dossier. Mais certains grands pays, ayant des dents longues, veulent nous faire peur. Or, nous leur dirons qu'ils ne nous font pas peur et qu'ils ne peuvent pas aller très loin.