La transition énergétique est devenue un impératif stratégique mondial, offrant à la Tunisie une opportunité historique de repositionnement économique et géopolitique. C'est ce qu'affirme Nidhal Ouerfelli, ancien ministre dans le gouvernement Mehdi Jomaa (2014 – 2015), à présent directeur des partenariats stratégiques au CEA et expert international en transition énergétique. Dans une intervention lors des Journées de l'Entreprise (IACE), Sousse, le 13 décembre 2025, il souligne que grâce à sa position géographique centrale en Méditerranée, la Tunisie peut devenir un hub énergétique reliant l'Afrique à l'Europe.Au cours d'un panel consacré aux nouvelles pistes d'investissement, modéré par Khaled Aouij et réunissant Jean-Lou Blachier, président du Groupement du Patronat Francophone et Sarah Morsi Représentante résidente de l'IFC pour la Tunisie et la Libye, l'ancien ministre estime qu'au-delà de l'exportation d'énergie, cette ambition repose sur le développement d'une chaîne de valeur industrielle complète, incluant les renouvelables, l'hydrogène vert et le numérique. Le pays dispose d'atouts clés : potentiel énergétique, base industrielle, capital humain qualifié et proximité du marché européen. La réussite de cette transformation exige une vision stratégique claire, une gouvernance stable et des partenariats structurants. Texte intégral La transition énergétique n'est plus aujourd'hui un choix parmi d'autres. Elle est devenue un impératif stratégique, au croisement de trois enjeux majeurs: 1. la sécurité énergétique, 2. la compétitivité économique et 3. la souveraineté nationale. Si je commence par ce constat, c'est parce qu'il conditionne l'ensemble de notre réflexion. Pour la Tunisie, cette transition représente à la fois un défi et une opportunité historique. Une opportunité de repositionnement économique, industriel et géopolitique. Pour bien comprendre les enjeux actuels, il faut d'abord regarder le contexte régional. Le monde énergétique a profondément basculé. Le modèle historique fondé sur l'axe Est–Ouest, reposant sur l'interdépendance énergétique entre l'Europe et la Russie, s'est désintégré. Ainsi, la perturbation rapide de l'ordre énergétique, renouvelle l'attention portée à l'utilisation du commerce des ressources énergétiques en tant qu'instrument de politique internationale. Ce bouleversement a ouvert un espace stratégique inédit pour l'émergence d'un nouvel axe vertical Sud–Nord, reliant l'Afrique, riche en ressources énergétiques, à l'Europe, fortement consommatrice et engagée dans la transition bas carbone. Dans ce nouveau paysage, la question n'est plus de savoir si la Tunisie peut jouer un rôle, mais quel rôle elle choisit de jouer ? La Tunisie bénéficie d'un atout fondamental : sa position géographique au cœur de la Méditerranée. À moins de 140 kilomètres des côtes européennes, et en lien naturel avec l'Afrique, elle est idéalement placée pour devenir une plateforme énergétique, industrielle et logistique euro-méditerranéenne. Cette position permet à la Tunisie: 1. de rapprocher production et consommation, 2. de sécuriser les corridors énergétiques, 3. et de réduire les risques géopolitiques pour ses partenaires. Dans un monde en quête de stabilité et de fiabilité, la géographie devient un facteur de compétitivité. Mais la géographie, à elle seule, ne suffit pas. Elle doit être portée par une vision stratégique claire: La Tunisie ne doit pas être un pays de transit mais une un hub énergétique. Selon une étude récente publiée dans l'International Journal of Energy Sector Management, un Hub énergétique est un pays qui: • exporte de l'énergie vers d'autres pays, • investit dans de grands projets d'infrastructures, • signe des accords énergétiques de long terme, • maintient un contrôle politique et économique sur les flux d'énergie, • et tire des bénéfices économiques et géopolitiques durables. La Tunisie possède les leviers pour répondre à cette définition : un potentiel en énergies renouvelables, interconnexions électriques et gazières avec l'Europe, infrastructures portuaires et logistiques, bref devenir un acteur clé de la sécurité énergétique régionale. Être un Hub énergétique, ce n'est pas seulement exporter de l'énergie. C'est structurer une influence économique, industrielle et diplomatique sur le long terme. Cette ambition est renforcée par la proximité immédiate du marché européen. L'Europe est engagée dans une transition rapide, contrainte par la décarbonation, la sécurité d'approvisionnement et la relocalisation de ses chaînes de valeur. La Tunisie est un partenaire naturel pour cette transition. Sa proximité, ses accords commerciaux et sa base industrielle en font une plateforme crédible de colocalisation. Pour l'Europe, la Tunisie n'est pas seulement un fournisseur potentiel d'énergie, mais un partenaire industriel stratégique. La transition énergétique ne se limite pas à la production d'énergie. Elle repose sur une chaîne de valeur industrielle complète. La Tunisie dispose déjà: • d'un tissu industriel exportateur, • d'industries mécaniques, électriques et électroniques performantes, • d'entreprises certifiées aux standards internationaux, • et d'un écosystème d'ingénierie reconnu. Ces atouts permettent à la Tunisie de s'intégrer dans certains segments stratégiques de la supply chain de, y compris dans certains segments de l'industrie électronucléaire, notamment: • les composants électriques et électroniques, • les systèmes de contrôle-commande, • l'instrumentation et la robotique, • les systèmes de sûreté. La relance mondiale du nucléaire civil, dans le cadre de la transition énergétique, ouvre une opportunité industrielle à forte valeur ajoutée. Cette ambition repose avant tout sur les compétences. La Tunisie forme chaque année des milliers d'ingénieurs. Elle dispose d'un enseignement supérieur et d'une recherche scientifique de haut niveau, dans : l'énergie, les télécommunications, l'intelligence artificielle, les matériaux, la cybersécurité. Ce capital humain est un avantage comparatif décisif pour monter en gamme et attirer des investissements technologiques à forte valeur ajoutée. Tous ces éléments appellent une vision claire : « Faire de la Tunisie un « centre stratégique et économique de la Méditerranée ». Cela implique: • une vision cohérente et partagée, • une gouvernance stable et lisible, • des partenariats publics-privés structurants, • et un cadre réglementaire incitatif. Il s'agit d'un projet de transformation du pays, au-delà du seul secteur énergétique. Les défis géopolitiques et de transition énergétique est une opportunité historique pour la Tunisie. Elle peut devenir un levier de croissance, de souveraineté et de rayonnement régional. La Tunisie dispose des ressources naturelles, des compétences humaines, de la base industrielle et de la position géostratégique pour devenir un acteur central du nouvel axe énergétique Sud–Nord. Ce qui est requis aujourd'hui, c'est une volonté stratégique claire. Nous vivons une époque où aucun pays, aucune institution, aucune discipline seule ne peut répondre aux défis technologiques et sociétaux du XXIe siècle. Qu'il s'agisse du climat, de la santé, de l'IA, ou de l'énergie, la réponse est nécessairement collective. Face à ces défis nous devons aujourd'hui réveiller notre AME ! Non seulement notre AME de conscience, pour mieux comprendre les bouleversements du monde, notre AME de résilience, pour affronter les chocs et rebondir collectivement, Mais surtout notre AME comme: • un espace de collaboration solidaire, de co-développement • technologique, et de partage des savoirs. Nidhal Ouerfelli Directeur des partenariats stratégiques au CEA et expert international en transition énergétique Intervention lors des Journées de l'Entreprise (IACE), Sousse, le 13 décembre 2025 Lire aussi • Fethi Zouhaïr Nouri, Gouverneur de la Banque centrale : Les quatre piliers d'un mouvement collectif attendu par l'économie tunisienne • De Villepin aux JE à Sousse: Cinq orientations pour les relations Europe, Maghreb, Afrique et Moyen-Orient • De Villepin aux Journées de l'Entreprise: éviter les impasses, devenir un carrefour euro-africain • Samir Abdelhafidh aux JE à Sousse : Osons l'innovation, poussons la compétitivité (Album photos)