Curieux : chaque fois que l'Etoile gagne, il me vient à l'esprit cette confidence que m'a faite Othmane Jenayeh, au lendemain de la conquête du titre. Il a rappelé cette phase de Peyrefitte des temps de splendeurs du Gaullisme : « Si on ne fait pas de bêtises, on est là pour trente ans ». A plusieurs reprises, il nous est arrivé de rappeler cette anecdote, lourde de sens, de Peyrefitte reprise par Jenayeh. L'ex-président étoilé voulait dire ceci, en substance : « L'Etoile est l'équipe la plus forte ; j'ai laissé une équipe forte à Driss, et, maintenant, son destin est entre ses mains. Qu'elle ne fasse pas de bêtises ». Eh bien, l'Etoile en a fait une, et monumentale : elle remporte la Champion's league africaine et ramène le trophée, dans la nouvelle version, pour la première fois en Tunisie. En fait, des « bêtises » comme celles-là, on en redemande... L'histoire de ce sacre est simple. D'abord Moëz Driss n'a pas été l'homme de la rupture. Sans le dire expressément, il a toujours reconnu à Jenayeh le mérite d'avoir donné cette impulsion de gigantisme au club. Mais il a su optimiser les ressources humaines et financières du club. Le championnat de l'année dernière fut l'aboutissement d'une rigoureuse planification... Et, suprême audace, Faouzi Benzarti, l' « artisan » du championnat, ne figurait pas dans cette planification. L'Etoile n'était, donc, plus une affaire de personnes. Et, d'ailleurs, on l'a vu, Moëz Driss s'efface, décentralise la gestion, comme il est en train de le faire intelligemment Hamdi Meddeb avec l'Espérance. Les grands clubs, ça se gère comme des entreprises. A l'Etoile, la gestion reste oligarchique, mais avec une nuance : elle est dépersonnifiée. Sans doute, existe-t-il toujours des esprits chagrins. Le doute s'empare des esprits pour peu que l'équipe vascille. La finale aller contre Al Ahly risquait-elle de faire crouler tout l'édifice ? Et qui aurait-on fustigé en cas d'échec au retour ? Eh bien, non. Il régnait à Sousse comme une espèce de béatitude. C'est à l'approche du match retour, malgré la défaite contre le Stade Tunisien, que les Etoilés commençaient paradoxalement à parier sur un triomphe au Caire. Et ce fut l'union sacrée. Jenayeh, Bouraoui, Mestiri étaient de l'expédition. On a transcendé les différends personnels, ceux-là mêmes qui ont conduit au délabrement de l'Espérance de l'après-Chiboub, avant que Meddeb ne vienne la main tendue... L'effet de cette cohésion en amont, infléchissait un esprit de corps en aval, sur le terrain, avec « ces guerriers » qu'a promis le président étoilé et un Bertrand Marchand, véritable joueur d'échecs et que les Clubistes sont « en droit » de regretter. A certain moment, avant-hier, rivés devant un téléviseur en ébullition, nous avions l'impression d'assister à une version d'un « Spartacus » multiplié par onze, dans une arène romaine. C'était presque à la vie à la mort, tant les Egyptiens y mettaient leur hargne de seigneurs des lieux, de dompteurs de gladiateurs. Peut-on dompter un Chermiti ? Peut-on dompter un Nafkha ? Peut-on apprivoiser un Ben Fraj ou un Silva ?.... Flavio, nom suggestivement romain, aura bien vu que ce n'était pas possible. Il n'y avait aucun moyen de les arrêter. Marchand lui-même ne pouvait pas les arrêter. Et alors, ce fut admirable. Mais ce fut émouvant. Ceux qui n'en ont pas eu la gorge serrée, ceux qui n'en ont pas eu les larmes aux yeux (qu'ils soient Etoilés, Espérantistes, Sfaxiens, Clubistes) ; ceux qui n'ont pas vibré à ce triomphe, ne comprendront jamais rien au sens des conquêtes et doivent s'interroger sur une certaine fibre nationale qui nous unit tous, au moment où les nôtres vont conquérir le Caire, métropole dont le syndrome carthaginois est aussi « séculaire » que leurs pharaons.