De retour en galerie, Hamideddine Bouali expose sa nouvelle collection au club culturel Tahar Haddad et propose un regard décalé, original et troublant sur les photos de paysage. Retour sur une performance technique, un parcours intellectuel et des oeuvres déconcertantes. Comptant parmi les photographes tunisiens les plus en vue, Hamideddine Bouali se caractèrise autant par son talent, l'évolution de son regard d'artiste et sa perséverance. Présent sur la scène de la photo tunisienne depuis plus de trois décennies, lorsque les pionniers se comptaient encore sur les doigts d'une main, Bouali a connu plusieurs vies artistiques successives qui le mènent aujourd'hui à des recherches poussées et des travaux d'une singularité surprenante. Bribes fugaces au coeur de l'insomnie des sens La nouvelle exposition de Hamideddine Bouali est actuellement exposée au club culturel Tahar Haddad. Déroutante, elle fait plus que surprendre le public... En effet, l'artiste décline en 17 oeuvres photographiques une contre-lecture de la photo de paysage. Très technique, l'exposition de Bouali est un éloge de la photo nocturne par l'exemple. Au cours de l'été dernier, ce photographe a choisi de sillonner quelques sites parmi les plus beaux de Tunisie pour y photographier la nature, la vie ou des objets. L'originalité de ces photos, c'est qu'elles sont prises de nuit, en général sur des plages ensommeilléees, enrobées d'obscurité et particulièrement envoûtantes. En fait, ce ne sont pas tant les lieux photographiés qui comptent car ils sont littéralement reconfigurés par la photo. Pourtant, Bouali n'utilise aucun artifice, nul trucage ou filtre pour embellir ou voiler le réel. Ce réel nimbé de nuit est obtenu grâce à un temps de pose méticuleusement étudié qui permet à l'artiste de montrer des paysages familiers qu'on dirait sortis d'outre-monde. Cette promenade nocturne qui trouve son prétexte sur les plages de Kerkennah, Mahdia, Béni Khiar ou Ghar el Melh débouche sur une révolution copernicienne en matière de photo de paysages. Une contre-lecture de la photo de paysage Bouleversés, illuminés a contrario, sublimés, les paysages de Bouali capturent et magnifient des moments subreptices que seule la photo saurait saisir. Ces instants de sens qui cherchent le limpide du ciel ou le mystère des formes relativisent la vision à l'oeil nu, comme pour souligner les vertus de démiurge de l'artiste. Plus en profondeur, Bouali semble nous demander de réflechir sur ce qui est véritablement photogénique. Conditionné par notre compréhension du beau, notre regard ne sait qu'effleurer la surface des choses. Pourtant, il y a comme un envers du réel qui nous échappe, une réalité fluide qui s'écoule sans arrêt et ne pourrait être saisie. Bouali installe son dispositif et son obectif dans cet entre-deux, ce point d'appui comme suspendu. Ce faisant, il parvient à dompter des bribes fugaces au coeur de l'insomnie des sens. L'exposition se poursuit actuellement au club Tahar Haddad et permet de retrouver dans ses oeuvres un artiste qui a accompagné la révolution tunisienne, formé de nombreux jeunes talents et toujours inlassablement poursuivi ses recherches formelles. Un artiste sobre et essentiel qui au lieu de s'égarer dans les discours théoriques préfère fasciner - au sens étymologique - notre regard.