Le déploiement de Gemini, l'intelligence artificielle de Google intégrée à sa nouvelle Search Generative Experience (SGE), bouleverse l'écosystème de l'information en ligne. En affichant directement des réponses générées par IA au sommet des résultats de recherche, Google limite l'exposition des liens vers les sites web, faisant craindre une chute dramatique du trafic organique pour les éditeurs. Le Washington Post parle d'un secteur « se préparant à un carnage », tandis que la News/Media Alliance accuse Google de « voler le contenu » des créateurs sans compensation. Les experts mettent en garde contre un Internet dominé par une poignée d'acteurs capables de centraliser la production et la diffusion d'information. Des baisses de trafic alarmantes et des revenus en chute libre Les premiers chiffres sont sans appel. Selon emarketer.com, les réponses SGE pourraient réduire de 20 % à 60 % le trafic des sites médias. Le fournisseur publicitaire Raptive évoque un manque à gagner de 2 milliards $ par an. Le Daily Mail a mesuré une chute de plus de 50 % des clics sur ses liens lorsque SGE est activé. Une page recevant habituellement 6 000 visites n'a enregistré que 100 clics après l'apparition du résumé IA. Même lorsque le lien du média est inclus dans la synthèse générée, les clics chutent encore de 44 % sur desktop et 32 % sur mobile. Certains éditeurs plus spécialisés sont encore plus touchés. Un site de tests de chaussures a vu son trafic Google chuter de 96 %. « Mon contenu est aspiré, résumé... mais les internautes ne cliquent plus », déplore son fondateur. La perte de contrôle sur le contenu éditorial L'un des aspects les plus controversés de cette évolution réside dans l'absence de consentement des éditeurs. Google n'offre pas de mécanisme clair pour exclure leur contenu des réponses IA, hormis la solution extrême de ne plus être indexé du tout. Selon Jan van der Crabben, fondateur de World History Encyclopedia, le « contrat implicite » selon lequel Google envoie du trafic en échange de l'utilisation des contenus est rompu. Son site a perdu 25 % de trafic en un mois. Les éditeurs dénoncent aussi l'essor des recherches sans clic, déjà majoritaires, où l'utilisateur obtient la réponse sans quitter Google. La BBC, qui a mené une étude interne, alerte sur les erreurs factuelles fréquentes dans les réponses IA, qui mettent en péril la confiance du public dans l'information. Un choc systémique pour l'information gratuite en ligne À plus long terme, les experts parlent d'une fragilisation du modèle du web ouvert, fondé sur le référencement naturel. Le cabinet Gartner prévoit une baisse de 25 % du trafic web issu des moteurs d'ici 2026, tandis que Siege Media évoque une chute de 10 à 20 % en moyenne, voire plus. Cette érosion pourrait condamner de nombreux médias, déjà vulnérables. La World History Encyclopedia, à but non lucratif, a vu ses revenus fondre avec la baisse de trafic, menaçant l'emploi de ses 9 salariés. D'autres comme The Messenger, média 100 % numérique lancé en 2023, n'ont pas survécu. Le risque systémique est désormais sur toutes les lèvres. Si les contenus sont consommés via l'IA sans renvoyer aux sources, les géants technologiques captent toute la valeur : l'audience, la donnée et les revenus. La diversité des voix, le pluralisme de l'information et l'indépendance journalistique sont en jeu. Réagir face à l'IA : poursuites, partenariats et stratégie éditoriale Face à cette crise, les médias réagissent sur plusieurs fronts. Certains, comme le New York Times ou News Corp, ont lancé des poursuites contre OpenAI et Perplexity AI pour utilisation abusive de leurs contenus. En Europe, les éditeurs envisagent d'exiger des accords de licence pour l'utilisation de leurs articles par les IA. D'autres explorent la voie du partenariat. L'Associated Press a signé un accord avec OpenAI, et Axel Springer collabore avec des entreprises d'IA. L'objectif : monnayer l'accès aux archives et participer au développement des outils pour en encadrer l'usage. Vers un nouvel Internet de l'information synthétique La transformation est inéluctable. Comme le souligne Mark Thompson, ancien CEO du New York Times, chaque révolution numérique a d'abord été perçue comme une menace avant de devenir une opportunité. Mais il reconnaît que « la recherche va changer à un rythme spectaculaire » et que le statu quo est intenable. Dans ce nouvel univers, l'information se consommera de plus en plus via des assistants intelligents, et non via les traditionnels liens bleus. Les éditeurs devront innover, se battre pour leur part de visibilité, et surtout, défendre la valeur de leur travail dans un monde où l'IA est à la fois outil et prédateur. Commentaires Que se passe-t-il en Tunisie? Nous expliquons sur notre chaîne YouTube . Abonnez-vous!