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Négociations Union Européenne-Tunisie : Libérer les échanges sans échanger les libertés ?
Publié dans Tunivisions le 17 - 04 - 2018

En ce mois d'avril 2018, deux négociations fondamentales pour la Tunisie vont être menées entre des représentants de la Tunisie et de l'Union Européenne (UE). La semaine du 17 avril, les négociations se tiendront sur la réadmission de migrants et la facilitation des demandes de visas pour une petite partie des Tunisiennes et Tunisiens. Tandis que durant la semaine du 23 avril, les discussions vont traiter des conditions du commerce entre la Tunisie et l'Union Européenne avec pour finalité la signature de l'ALECA (Accord de Libre-échange Complet et Approfondi).
Menées à une semaine d'intervalle, les deux thématiques de la circulation des personnes et de l'augmentation de la libéralisation des échanges ont été liées à la suite d'une demande tunisienne : la crainte était que soit favorisée la circulation des biens, des flux financiers et des services, en dépit de la circulation des personnes.
Ces négociations engagent la Tunisie pour les décennies à venir. Elles pourraient changer la structuration économique et sociale du pays. L'accord d'association de 1995, qui a ouvert le secteur industriel à la concurrence, est critiqué pour ses conséquences, qui perdurent jusqu'à aujourd'hui. Pour cerner les stratégies en jeu dans ces négociations, nous analysons ici quels sont les objectifs pour l'Union Européenne dans ces tractations, ce qu'elle espère y gagner et comment est-ce qu'elle envisage de négocier. Il s'agit dès à présent d'anticiper les résultats et les conséquences de ces négociations sur le long terme, pour ne pas subir des répercutions non désirées dans le futur.
L'intensification du commerce comme fin en soi : quels constats ?
Avec l'ALECA, l'UE propose à la Tunisie de signer un traité international pour ouvrir encore davantage son économie : pour les biens, les services et les capitaux. Cette ouverture concernerait tous les secteurs de l'économie, y compris l'agriculture. Elle mettrait un terme aux droits de douane, et demanderait à la Tunisie d'adopter les normes de l'UE pour que son économie entre en pleine concurrence avec les économies européennes.
Des risques pour les droits économiques et sociaux des citoyens tunisiens
Sous différents aspects, le projet d'ALECA fait craindre des risques pour les citoyens tunisiens en termes de droits économiques et sociaux. En particulier, de nombreux emplois risquent de disparaitre dans les secteurs de l'agriculture et des services. De même, la mise en concurrence du secteur agricole pourrait menacer la sécurité alimentaire, en accentuant la dépendance à l'importation pour les céréales, qui sont la base de l'alimentation tunisienne.
L'impact social se fera aussi sentir de manière moins directe. La perte de ressources budgétaires de l'Etat (liés à la baisse des droits de douane), se traduira soit par moins de dépenses sociales et de développement, soit par des hausses d'impôts. De plus, si aucun dispositif n'est prévu, les investissements risquent de se concentrer dans le nord-est du pays et ne pas améliorer les inégalités sociales et territoriales.
Enfin, le bien-être et la santé même des citoyens sont menacés. Les mesures de propriété intellectuelle incluses dans le projet pourraient restreindre l'accès aux médicaments. Il est aussi probable que le projet prévoie une juridiction spéciale pour les investisseurs comme les tribunaux d'arbitrage. C'est-à-dire qu'ils auraient la possibilité d'attaquer directement l'Etat tunisien s'ils considèrent qu'une loi ou une mesure menace leurs investissements. Ainsi des mesures de protection de l'environnement ou de santé publique, par exemple, peuvent être arrêtées ou ne pas être mises en application.
Des avantages incertains pour la Tunisie
En contrepartie de l'ouverture tunisienne, l'UE promet un développement de l'économie, à travers un meilleur accès au marché européen, des normes reconnues internationalement, et plus d'investissement en Tunisie. Cependant, si nous regardons l'Accord d'Association de 1995, qui a mis en compétition l'industrie tunisienne et européenne, nous constatons que, 20 ans après, l'industrie tunisienne est en grande difficulté. Le secteur porteur en Tunisie étant celui des services, faire brutalement disparaître les protections de l'Etat vis-à-vis de ce secteur pourrait l'endommager fortement, en ayant des incidences négatives sur les emplois. Même si cela se fait progressivement, la mise en concurrence inquiète donc tant les organisations de la société civile que les syndicats, et même le patronat. Il faut dire que la compétitivité de l'économie tunisienne est bien inférieure à celle de l'économie européenne. Dans le secteur agricole, elle l'est même 7 fois moins.
Deux autres éléments reflètent cette inégalité entre les deux parties. D'abord, l'UE propose que la Tunisie adopte des normes et standards européens dans différents domaines. Toutefois, ce changement de normes aura un coût, qui devra être porté uniquement par la Tunisie, quand les entreprises européennes n'auront pas d'effort particulier à faire. Et ces normes, pensées pour l'Europe, ne sont pas nécessairement adaptées à la Tunisie. D'autre part, le projet d'ALECA permettrait à des fournisseurs de service ou des investisseurs de venir directement en Tunisie librement, alors que les Tunisiens doivent systématiquement passer par une procédure de demande de visa. Or, dans sa stratégie commerciale de 2015, « Le Commerce pour Tous », la Commission Européenne affirme que « pour s'engager dans le commerce international des services, les entreprises doivent établir des marchés à l'étranger afin de desservir les nouveaux clients locaux. ». Cela signifie qu'il est très important pour les Européens que leurs fournisseurs de services puissent venir et s'installer dans d'autres pays. En revanche, il n'est pas possible pour les fournisseurs de services Tunisiens de se déplacer en Europe sans passer par des procédures de demande de visas à l'issue incertaine.
Ce projet semble donc ne pas pouvoir bénéficier dans l'immédiat à la Tunisie mais plutôt servir les intérêts des entreprises européennes, voire détériorer encore certains aspects de l'économie tunisienne. Comment l'UE en est donc arrivée à ce que la Tunisie accepte de discuter une telle proposition ?
L'offre européenne : une stratégie commerciale offensive
Cette offre fait partie d'une stratégie mondiale de l'UE. Elle cherche à pouvoir importer à plus bas coût, pour mieux pouvoir exporter. Ces mesures, ainsi que l'harmonisation des normes, ont pour but de consolider la position des grandes multinationales européennes, en concurrence avec les nouvelles puissances comme la Chine. En effet, ces dernières années, les importations de la Tunisie se sont diversifiées et sont devenues de moins en moins liées aux produits européens, remplacés par des produits en provenance de Chine et de Turquie, comme c'est le cas dans beaucoup d'autres pays africains. L'UE ne propose donc pas cet accord seulement à la Tunisie, mais à de nombreux Etats et régions du monde.
L'objectif est de s'assurer d'une part l'accès à des ressources clés comme l'énergie et d'autres matières premières à meilleur coût ; et d'autre part, de pouvoir mieux exporter, notamment dans le secteur des services, le plus important en Europe, en éliminant la majorité des protections des autres économies. Ainsi, l'objectif de l'UE dans ces négociations est de pouvoir investir le marché tunisien, de le confronter à la très forte concurrence du marché européen et donc essentiellement de tirer profit de son avancement technologique et compétitif dans les échanges avec la Tunisie.
Méthodes de négociation européennes : faire pression pour servir ses propres intérêts
Pour négocier l'ALECA, mais aussi pour contrôler les mouvements migratoires, l'UE use de différents moyens pour obtenir des accords qui correspondent à ses intérêts.
Les récentes – et controversées – affaires des listes noires ont pu être analysées comme servant de moyens de pression pour faire avancer les négociations. De même, l'UE finance en partie le budget de l'Etat tunisien, et impose des conditions, à savoir que l'Union demande des réformes en échange de ses financements. Ainsi la Tunisie peut difficilement refuser les négociations proposées par l'UE, au risque de voir les financements européens réduits. Or, au vu de la situation économique et des finances publiques, elle en a cruellement besoin et cette forme de chantage a dès lors toutes ses chances de fonctionner. De même, après une année exceptionnelle de production d'huile d'olive en 2017-2018, la Tunisie a demandé un quota détaxé supplémentaire pour exporter plus d'huile vers l'Europe. Mais ce dernier a été refusé, bien qu'un tel quota ait existé les deux années précédentes.
De même pour lutter contre l'immigration irrégulière, l'UE souhaite faire pression sur l'attribution de visas. Alors que la mobilité est essentielle pour les Tunisiens, pour pouvoir établir des relations commerciales en Europe, pour rendre visite à des membres de leur famille, ou simplement venir en vacances, l'accès au territoire européen est filtré par une politique sécuritaire et restrictive.
En termes de mobilité des personnes, l'UE est donc à la recherche du même contrôle. Si une liberté pour les biens, les services et les capitaux est annoncée par l'UE avec l'ALECA, il n'en est pas de même pour les personnes. L'UE négocie deux traités avec la Tunisie, qui servent à mieux contrôler les frontières et sélectionner celles et ceux qui les franchissent : un accord dit de réadmission et un accord de facilitation des visas dans le cadre des négociations du partenariat pour la mobilité (PPM).
Des libertés à sens unique
En théorie, les relations internationales sont régies par le principe de la réciprocité entre les Etats qui doivent négocier sur un pied d'égalité. Pourtant, la liberté de circulation entre l'Union Européenne et la Tunisie a tendance à se déployer à sens unique. La « facilitation des visas » sert de monnaie d'échange pour pouvoir mieux négocier les accords de réadmission, objectifs des Etats membres et de l'Union Européenne depuis le début des années 2000, lorsque cette dernière a entamé une politique « d'externalisation de ses frontières ».
L'appât de la « facilitation » des visas
Alors que l'Union Européenne elle-même s'est construite en instaurant un marché commun fondé sur le libre-échange et un espace de libre-circulation, elle a tenté d'isoler la question de la mobilité des personnes du reste des négociations. La Tunisie attribue systématiquement aux Européens un visa de trois mois dès leur entrée sur son sol. Mais pour les Tunisiens, qu'en est-il de ce principe de « facilitation » alors que le processus de demande de visas n'a fait qu'être complexifié depuis la création de l'espace Schengen ?
Dans le cadre du libre-échange, l'UE organise l'importation des cerveaux. D'un côté, l'UE facilite l'immigration pour une élite tunisienne qui constitue un enrichissement en matière grise, venant servir les intérêts économiques européens. De l'autre côté, on observe une chute du nombre de diplômés tunisiens du privé et du public de 25% entre 2010 et 2016. La « fuite des cerveaux » (ou brain drain) n'est pas un fait récent mais il prend une place particulièrement stratégique dans le cadre de ces négociations de l'ALECA et du PPM. Mais très peu a été prévu pour permettre la mobilité de travailleurs non cadres ou peu qualifiés. On observe que les clauses de migration de travail sont souvent davantage prises en compte dans les accords bilatéraux que dans ces Partenariats pour la mobilité avec l'UE. En effet, les migrations restent un sujet important de discorde entre les différents Etats membres de l'Union européenne.
Dans le passé, des accords concernant les travailleurs saisonniers furent signés avec différents pays membres de l'UE. La migration circulaire et saisonnière était promue dans les années 1960 par les Etats européens pour remplir une demande importante en main d'œuvre, puis acceptée jusque dans les années 2000. Aujourd'hui, de telles migrations sont écartées. La priorité est en effet attribuée aux « accords de réadmission » et aux dynamiques de retour ou bien uniquement aux accords facilitant le séjour de certains « jeunes professionnels », à qui la Tunisie a consacré une partie importante de ses fonds publics pour la formation universitaire. Si l'on compare les accords de facilitation des visas dans le cadre des Partenariats pour la mobilité déjà signés avec d'autres pays, l'UE ne facilite les visas que pour les étudiants les plus qualifiés et formés, des chercheurs, des chefs d'entreprise, investisseurs ou encore pour certains membres de la société civile. Ce type d'accord accroitrait donc encore davantage les inégalités de mobilité entre les différentes classes sociales.
Qui plus est, la part substantielle que constituent les transferts de fonds d'émigrés vers leurs familles dans l'économie tunisienne n'est pas négligeable. Elle est comparable aux montants de l'« aide au développement » et représentait en 2014 4.75% du PIB tunisien. La forme de répartition des richesses globales qui s'effectue du fait des migrations internationales est donc paralysée à partir du moment où les migrations ont pour finalité d'être endiguées par les Etats.
Le contexte migratoire régional est caractérisé par une double dynamique. Au nord de la mer Méditerranée une phobie populaire des migrations s'est diffusée, notamment à la suite d'attentats sur le territoire européen – bien que la majorité d'entre eux aient été réalisés par des Européens – mais également stimulée par une instrumentalisation de cette phobie par de nombreux représentants politiques. Tandis qu'au sud de la mer Méditerranée, la situation économique et sociale du pays a eu tendance à se dégrader et un sentiment d'étouffement et de désillusion s'est fait ressentir parmi la jeunesse tunisienne. Elle a tendance à quitter de plus en plus systématiquement le pays, par voie légale pour les élites ou par voie non règlementaire pour celles et ceux dont les demandes de visa ont été refusées. L'UE propose donc pour remédier à l'immigration irrégulière – qu'elle a tendance à criminaliser – des mécanismes légaux d'expulsions nommés officiellement « accords de réadmission ».
Quand le libre-échange restreint la circulation des personnes
En effet l'UE souhaite, pour lutter contre l'immigration irrégulière, faire pression sur l'attribution de visas. Dimitris Avramopoulos commissaire européen chargé de la migration proposait le 14 mars 2018 « de durcir les conditions d'attribution des visas aux pays partenaires qui ne coopèrent pas suffisamment dans le cadre de la réadmission ». En signant ces « accords de réadmission », l'Etat tunisien serait tenu pendant une longue période d'accepter sans conditions l'expulsion de ses ressortissants depuis le territoire de l'Union Européenne, voire même de ressortissants non nationaux ayant transité par la Tunisie.
Dès le Traité d'Amsterdam en 1997, la pierre angulaire des discussions entre Etat membres de l'UE est devenue la politique migratoire commune. Une stratégie d'externalisation des frontières européennes vers les pays tiers s'est alors mise en place. Jamais exprimée de façon claire, on peut néanmoins identifier cette « politique d'externalisation » à travers un langage spécifique : en témoignent les formules ambivalentes comme la « politique européenne de voisinage », le « renforcement de l'aide de protection dans les pays de premier asile », les « partenariats avec les pays tiers et les pays de transit », ou encore la « répartition des responsabilités avec les régions d'origine ». Le label de « pays tiers sûrs » permet aux Etats membres européens de simplifier les expulsions de nationaux de ces pays ou de pays tiers depuis l'UE.
A la lecture de l'agenda sur les migrations de la Commission Européenne, il apparaît en filigrane que les Etats membres sont sommés de faire pression en intensifiant « les actions, de sorte que les pays tiers remplissent leur obligation de réadmettre leurs ressortissants. ». En plus, l'UE prévoit de négocier l'expulsion de migrants non Tunisiens vers la Tunisie, parce qu'ils auraient transité par ce pays et pris un bateau pour rejoindre l'Europe. Afin de parachever le projet d'externalisation des frontières européennes, la Commission Européenne révèle que « l'objectif à atteindre consisterait à favoriser une plus grande sécurité des frontières mais également à renforcer les capacités des pays d'Afrique du Nord d'intervenir et de sauver la vie de migrants en détresse. » Certains gouvernements européens ont déjà passé ce type d'accords de renforcement des capacités des garde-côtes notamment avec les autorités libyennes. Malgré des violations fréquentes des droits humains, ils délocalisent donc la gestion des frontières hors de leur territoire.
Enfin, pour diminuer le coût de ces expulsions et les rendre plus systématiques, des « accords de réadmission » sont négociés avec les pays tiers comme la Tunisie ou le Maroc. Dès 2005, « 250 millions d'euros avaient été débloqués sur 4 ans » par la Commission européenne pour permettre la négociation de ces « accords de réadmission », faisant ressortir l'aspect prioritaire de cette question pour l'UE.
En conclusion, les négociations que mène l'Europe en Tunisie répondent à deux de ses obsessions : rester l'acteur majeur du commerce international et contrôler les personnes qui peuvent accéder à son territoire. Sur les deux sujets, la même logique est de mise et l'UE ne prend pas de risques dans ces négociations. En promettant de petites améliorations – quelques catégories de citoyens Tunisiens iront plus facilement en Europe, quelques secteurs pourront plus exporter – l'UE sert essentiellement ses intérêts directs, au détriment de la réciprocité des retombées positives.
Cependant, comment de telles négociations pourront améliorer la situation économique et sociale en Tunisie ? 7 ans après la révolution, la Tunisie est toujours dans une situation de reconstruction. Les équilibres de fonctionnement n'ont pas encore été trouvés, les réformes constitutionnelles ne sont pas achevées. Il semble donc prématuré de s'engager dans de tels changements, et ces négociations devraient être prises avec beaucoup de précaution et de patience.
De fait, pour les négociations du Partenariat Pour la Mobilité (PPM), les « accords de réadmission » engagent des responsabilités très importantes en ce qui concerne les expulsions de Tunisiens ou de personnes de pays tiers ayant transité a priori par le territoire tunisien avant de partir pour l'Europe. En échange, l'UE proposerait seulement une légère facilitation de visas pour une élite tunisienne déjà favorisée pour l'obtention de visa et dont les séjours hors du territoire représentent également un avantage pour les intérêts européens. Ce frileux pas en avant contraste qui plus est avec l'octroi systématique de visas de trois mois pour les ressortissants européens qui arrivent en Tunisie.
En ce qui concerne l'ALECA, les avantages pour l'économie de la zone européenne s'avèrent évidents en termes d'acquisition de nouveaux marchés publics pour des fournisseurs de services européens, une probable domination de la concurrence des multinationales ou PME européennes sur les tissus économiques tunisiens ou encore de nouveaux débouchés en termes de consommateurs de biens et services européens. En revanche, la Tunisie de son côté risque de connaître :
* des pertes d'emploi dans les domaines de l'agriculture notamment dues à la forte concurrence d'un secteur agro-alimentaire européen fortement subventionné par la PAC ;
* une perte d'emplois probable dans le secteur des services ;
* une possible augmentation de la consommation de ses rares ressources en eau pour des exploitations agricoles qui vont devoir être davantage compétitives en augmentant l'intensité de leurs productions ;
* ou encore une perte de recettes fiscales à l'importation et l'exportation ne permettant plus à l'Etat de mettre en place des politiques de réduction des inégalités dans sa politique de développement favorisant les régions vis-à-vis des centres déjà plus avancés.
Outre le rapport de force déséquilibré dans ces négociations entre un pays de 11 millions d'habitants à l'économie encore très fragile qui est en reconstruction et une Union de 500 millions d'habitants qui est la première puissance commerciale au monde, l'UE impose des pressions de sorte à ce que les conditions des accords soient difficilement négociables pour la Tunisie. On a montré que la conditionnalité de l'aide au développement impliquait que la Tunisie, pour obtenir des financements publics de l'Union, doive accepter de mettre en place certaines mesures ou réformes que l'Etat n'aurait pas forcément entreprises autrement.
La négociation semble donc être engagée dans un rapport défavorable pour la Tunisie. Pour en sortir, nous proposons de lier totalement les questions de mobilité et de commerce, dans un partenariat plus large qui parte des priorités de la Tunisie, et non de celles de l'Union Européenne. Nous proposons donc quelques orientations et pistes de réflexion :
* sur la mobilité des personnes(semaine du 16 avril) :
* Ce partenariat devrait permettre des conditions de circulation réciproques entre les citoyens des deux rives de la Méditerranée ;
* y inclure la facilitation de mobilité de travailleurs non cadres (migration circulaire, saisonnière...) ;
* et davantage de réciprocité dans les politiques d'attribution des visas.
* Sur les relations économiques et commerciales(semaine du 23 avril) :
o Ce partenariat devrait identifier quelles actions permettraient réellement à la Tunisie de garantir des emplois, notamment aux jeunes diplômés et aux régions de l'intérieur ;
o A travers des transferts de technologie, une coopération scientifique approfondie il devrait permettre une meilleure qualité des produits tunisiens ;
o A travers l'orientation vers un modèle agro-écologique, il devrait développer une agriculture adaptée aux conditions climatiques changeantes, à la rareté de l'eau et permettant de nourrir la population tunisienne dans une grande partie ;
o Il ne devrait pas permettre à travers des tribunaux d'arbitrage de remettre en cause la souveraineté de l'Etat tunisien vis-à-vis d'intérêts de multinationales étrangères.
Par:
1. Marco Jonville (Volontaire "ALECA et justice environnementale" FTDES)
2. Valentin Bonnefoy: Chargé de département migration FTDES


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