« La France a accueilli à Paris, du 13 au 15 septembre dernier, au Centre de Conférences internationales, la première conférence de "l'Atelier culturel Europe-Méditerranée-Golfe", dont Jaques Chirac avait pris l'initiative à Barcelone, lors du sommet euro-méditerranéen de novembre 2005. M. Hassen Zargouni, Statisticien Economiste Expert en Médias et DG de Sigma Conseil, a participé à l'Atelier "Images et Ecrits" visant la proposition de projets audio-visuels valorisant la "destinée commune" des peuples de la région et donnant des éléments pour y parvenir. 1. Quelques constats 1.1. Beaucoup à se reprocher côté Sud L'offre télévisuelle et cinématographique arabe est relativement pauvre tant sur le plan du contenu, caractérisé plutôt par une rigidité éditoriale et beaucoup de sujets tabous, qu'au niveau de la quantité avec à peine 50 films produits par an pour l'ensemble de la région Afrique du Nord/Moyen Orient (soit un marché de l'ordre de 150 millions de US$, équivalent à une seule superproduction américaine), dont la moitié est produite en Egypte avec dans la plupart des cas un financement privé saoudien et une vingtaine de feuilletons Soap Opera dont la majorité est égyptienne ou syrienne avec un financement souvent public, diffusé pour la plupart durant le mois de Ramadan. Il existe donc un déficit de la production télévisuelle arabe comparée à celle qu'on retrouve en Amérique Latine, prolifique et superbe ou encore en Corée du Sud dont les uvres, sans atteindre des niveaux élevés, circulent tout de même dans le monde entier. Cette industrie de l'image animée (notamment les fictions) peine à émerger, faute d'un marché local véritablement concurrentiel et où les producteurs du secteur privé ne sont pas si nombreux. Le secteur des médias audiovisuels dans le monde arabe, en dehors des formats « tout info » ou encore des formats « vidéo clip musicaux non stop », accuse des carences structurelles graves (technico-financières), rendant par voie de fait les produits audiovisuels arabes inexportables et donc invisibles pour le monde occidental. La voix de la création cinématographique et télévisuelle orientale est inaudible en Occident et ce principalement du fait de problèmes dont les pays du Sud en sont responsables. L'ère de l'Internet aurait pu constituer une aubaine pour des producteurs indépendants, l'avènement du « contenu partout » (de l'anglais : « content everywhere ») où la convergence des médias permettent des possibilités énormes de création artistique liée à l'image. Toujours rien, le monde arabe passe à côté de cette révolution, pourtant à sa portée tant la région ANMO regorge de compétences de haut niveau dans les NTIC (il lui manquerait peut-être l'imagination créative corollaire directe de la liberté de penser ). La presse écrite papier arabe souffre quant à elle des mêmes maux que ceux qu'on rencontre en Occident, avec la baisse progressive du lectorat et la baisse relative des recettes publicitaires source principale de son financement (la télévision bénéficiant de plus en plus de la manne des jeux interactifs SMS-). Les journaux et magazines de haut niveau (parce qu'ils existent) sont lus par une minorité éclairée et les tabloïds populaires à grand tirage attirent les classes moyennes et populaires. Il est à relever à ce propos le niveau anormalement élevé (comparé aux autres régions du monde) du nombre de personnes illettrées ou analphabètes dans le monde arabe, situation paradoxale dans une culture où le verbe est roi et la langue est sacrée ! Mais ce paradoxe peut n'en paraître pas, le caractère sacré de la langue n'implique pas en effet et forcément sa popularité, bien au contraire, il s'avère que le savoir est et demeure une affaire d'élite. Enfin, par rapport à la cible des médias, on pourra s'interroger légitimement sur le fait d'être arabe aujourd'hui : Qui il est ? Sur le plan des générations, les Arabes oscillent entre des adultes ayant connu l'ère de l'euphorie post coloniale et des jeunes (majoritaires), désenchantés, menacés par le chômage, tiraillés entre l'attrait des tubes à la mode (l'industrie de la pop music arabe est florissante grâce à la manne saoudienne privée et une créativité libanaise sans bornes ) et l'attrait des thèses religieuses extrêmes ; Sur le plan géographique, il y a d'un côté des Maghrébins qui partagent une histoire et des origines ethniques relativement homogènes avec « en prime » une proximité de l'Europe occidentale du Sud et de l'autre un Machrek maîtrisant la langue arabe, hétérogène avec une culture méditerranéenne pour les uns (libanais, palestiniens, syriens, ) et une culture du désert (Péninsule arabique), très conservatrice pour les autres et subissant de plein fouet les conflits régionaux souvent très violents ; Sur le plan de l'instruction, les Arabes se répartissent entre minorités éclairées, bien éduquées, ouvertes sur le monde et une majorité d'analphabètes (souvent des femmes) plombant le développement économique de certains pays arabes (Maroc, Egypte, Yemen ). Mais le constat fort aujourd'hui est le suivant : La parabole (dish en Orient) a rapproché beaucoup les Arabes entre eux, c'est une vérité que les sociologues seraient bien avisés d'analyser et d'en mesurer la portée. Le comportement télévisuel dans les foyers arabes selon les récentes enquêtes SIGMA dans les pays de la zone ANMO (Afrique du Nord Moyen Orient) est à plusieurs égards très proche. Plus de 3 heures d'exposition par jour par individu et 6 à 7 heures par foyer en regardant les mêmes chaînes (Rotana Cinéma et Musique, Al Jazeera, MBC1, MBC2 ainsi que les chaînes religieuses, ) en plus de leurs chaînes nationales (une moyenne de part d'audience de l'ordre de 30 à 40% seulement et où les émissions s'apparentent largement au modèle égyptien) indiquent une communauté d'écoute extraordinaire avec un grand retour vers la langue arabe littéraire et une baisse de la francophonie côté Maghreb notamment (10% d'anglophones côté Machrek seulement). Il est à noter que la chaîne la plus vue par les enfants arabes aujourd'hui est Spacetoon (privée, syrienne diffusant sur deux signaux l'un en arabe et l'autre en anglais), bien avant les chaînes locales ! L'Arabe des paraboles existe donc bel et bien, elles lui renvoient ses propres images. A l'exception de certaines fictions cinématographiques, trahissant du reste un attrait toujours vivace du modèle de vie à l'occidentale, il ne s'intéresse plus à la production occidentale informationnelle et artistique (variétés, ). * DG Sigma Conseil