On voyage pour découvrir et faire du shopping. Ça paraît tellement évident que c'est une lapalissade. Eh bien, non ! Ce n'est pas si évident que ça. Dans les souks de Tunis, le touriste'' le plus dépensier est le Tunisien. «C'est à combien ça ?» - «15 dinars, Madame » - «Non, 5 dinars...» - «Disons 10, Madame...» - «Non, j'ai dit 5 !...» - «D'accord, 5 » - «C'est bon, je vais réfléchir ». Et au signataire de cet article, le commerçant commente : «T'as vu ?... C'est elle qui arrête le prix, je dis oui, et elle va encore réfléchir avant de se décider... T'as vu comment ça fonctionne ici ?...». Mercredi 5 septembre. Dans les souks de Tunis, à quelques jours de la rentrée scolaire, les venelles ne désemplissent pas de touristes. C'est même du coude à coude. Le jargon qu'on entend n'a rien d'italien (ou très peu), ni d'allemand, encore moins du français (un sur mille, peut-être). Une langue franchement étrangère. Quelqu'un nous précise : «Cette année, c'est l'Europe de l'est qui est parmi nous». Plus exactement des Polonais et des Tchèques pour l'essentiel. Ils regardent. Contemplent. Admirent. Et circulent. Les commerçants les appellent (dans leur langue), les invitent à voir ; c'est à peine s'ils se retournent. Pour donner un sens à leur visite, ils se contentent d'un «C'est combien ça ?» sans suite réelle. Terribles ces dinars si difficiles à sortir des poches !... A mi-chemin entre l'entrée du Souk et la Mosquée Zitouna, deux jeunes Polonaises sont carrément assises à l'intérieur d'une échoppe. Le jeune commerçant a cru flairer une bonne affaire ; il leur a même offert des cafés. A leur demande, le pauvre a dû mettre son magasin sens dessus dessous pour leur montrer le maximum possible d'articles. En vain. Au bout d'un long moment, elles lui ont fait un large sourire et sont sorties. Un autre commerçant nous dit : «Depuis que, il y a trois ou quatre ans, les Français et les Italiens se sont faits rares, ça ne marche plus vraiment ici. Avec l'Europe de l'est, nous avons cru gagner un nouveau marché : mais voilà le résultat, il est rare que quelqu'un achète ». Contre toute attente, ce sont apparemment les Algériens qui se sont montrés assez intéressés par notre artisanat : «Franchement, c'est eux qui ont sauvé la saison cette année ; je dois aussi reconnaître que les Libyens ne sont pas en reste, ils ont montré un intérêt manifeste pour nos produits», nous confie un artisan. Autre surprise : «C'est à peine croyable, mais les Espagnols, dont l'artisanat pourtant ne diffère pas tellement de la nôtre, nous ont acheté bien des choses», s'étonne agréablement un autre. Oui, mais qui achète quoi ?... Quand il leur arrive d'acheter, les Tchèques et les Polonais se rabattent sur des articles d'assez timide valeur, comme le petit chameau fourré de chiffons, la petite Darbouka d'à peine 15 cm de taille, ou encore le petit cendrier en cuivre Le peu d'Italiens se sont intéressés au narguilé de décoration, aux coffrets en bois superbement ornés, ou des cadres assez beaux avec bordure en argent Les Espagnoles, elles surtout, se sont montrées très intéressées par la Jebba et le Qoftane joliment brodés Quant à l'argent proprement dit, il faut dire que cela reste tuniso-tunisien : «C'est à peine si je compte un touriste sur cent Tunisiens qui achètent, nous dit un artisan-commerçant d'argent. Je peux comprendre que ce soit relativement cher pour le touriste qui s'apprête à faire ses valises. En revanche, du 15 au 30 août, c'est-à-dire vers la fin de leurs vacances dans le pays, les Tunisiens résidant à l'étranger aiment acheter pour offrir à leurs amis européens, ou peut-être aux leurs qui seraient restés dans le pays hôte.
Or, ces Tunisiens n'achètent pas du n'importe quoi, c'est du sérieux. Cela va du coffret à l'argentière, en passant par les cadres, les socles pour livres ou autres, les bracelets, etc... Sauf que l'argent semble poser problème : « Notre seul problème c'est nos collègues ; ils utilisent du cuivre brassé avec du nickel, et le résultat est un soupçon d'argent. Le client ne s'en offusque pas du moment qu'il achète un semblant d'argent à vil prix. Du coup, ce sont nos prix qui semblent exorbitants ; il n'empêche, beaucoup savent à quoi s'en tenir, et ils ne lésinent pas, leur plaisir étant de s'offrir de la bonne qualité Bref, c'est avec les Tunisiens que nous travaillons : les succès scolaires, les anniversaires, les fiançailles et autres sont autant d'occasions pour offrir des cadeaux, et l'argent paraît être l'article le plus prisé ». A ce stade de notre reportage, nous avons failli conclure que le touriste, en général, n'achète pas. En tout cas, c'est une vérité pour beaucoup de commerçants. Sauf que quelqu'un nous a fait une déclaration aussi inattendue qu'indigeste : «Que de fois nous sommes restés sidérés devant un phénomène pour le moins injuste. Nous voyons des groupes entiers de touristes guidés tout droit vers trois ou quatre commerçants toujours les mêmes auprès desquels, eux seuls, on achète. C'est injuste. De quel droit influence-t-on le touriste à n'acheter qu'auprès de ces chanceux, et de quel droit nous empêche-t-on d'avoir une petite part du gâteau ?!... ». C'est comme qui aurait dit qu'un petit malheur n'arrive jamais seul