« Pourquoi les journalistes font-ils grève ? », « Zied El Héni étant sorti de prison maintenant, pourquoi tout ce battage ? », « C'est bien que les médias fassent grève, ça nous fera une pause et ça évitera de colporter des rumeurs ! ». Voici un florilège des quelques réactions hostiles à la grève faite par les journalistes tunisiens le 17 septembre. La portée de cette grève, sa symbolique et ses raisons ne semblent pas encore comprises par certaines personnes. Malheureusement… Avant de débuter les réponses à ce type de questions, il est bon de rappeler que l'écrasante majorité des médias ont participé à cette grève. Du moins ceux qui se respectent et qui adhèrent au principe de la défense de la liberté de la presse. Tout d'abord, le secteur des médias et de l'information est un domaine où se cristallisent les tensions entre les opposants politiques car c'est un champ essentiel du quotidien des Tunisiens et il revêt une importance capitale dans la construction et dans l'influence de l'opinion publique. Ceci s'explique par le fait que le journalisme assouvit l'un des besoins essentiels de l'être humain, celui de savoir « ce qui se passe de l'autre côté de la colline », d'être informé de ce qui échappe à son expérience directe pour pouvoir se construire une idée de son environnement et se projeter dans l'avenir. C'est ainsi qu'il devient aisé de comprendre à quel point ce secteur peut être stratégique pour le pouvoir. Si l'on arrive à mettre la main sur les médias, on pourra communiquer sur une image positive de la situation du pays et marteler sans fin que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. C'est d'ailleurs ce que faisait Ben Ali pour tenter de droguer l'opinion publique, et il a réussi dans une certaine mesure. Ce scénario est en train d'être réitéré par les gouvernants actuels qui tentent de mettre les médias au pas pour, justement, communiquer une image apaisée du pays qui fera penser que le pouvoir d'Ennahdha réussit. On peut d'ailleurs en avoir un extrait en regardant les chaînes de télévision à la solde du pouvoir islamiste. C'est dans cette même logique que la direction générale de la télévision nationale préfère par exemple passer au JT de 20h la visite d'Ali Laârayedh dans une école avant l'actualité du jour : l'arrestation de Zied El Héni. C'est également pour ça que la Wataniya 2 n'a pas hésité à passer en intégralité les débats de l'ANC le jour de la grève des journalistes. C'est aussi dans cette logique que tout citoyen digne de ce nom ne peut que se ranger du côté des journalistes dans leur démarche. Evidemment, chaque citoyen a beaucoup à redire sur les médias et la qualité de leur travail, ceci est tout à fait légitime. Par contre, le citoyen doit comprendre que son droit à l'information est sacré et que la variété de la scène médiatique est en soi un phénomène sain. En France, par exemple, les pires tabloïds et les journaux prestigieux comme « Le Monde » sont vendus côte à côte. Au lecteur de choisir, au citoyen de porter son choix sur le média ou la publication qu'il souhaite. C'est cette sensibilisation des citoyens et de l'opinion publique qui nous manque aujourd'hui en Tunisie. Le citoyen tunisien doit savoir que c'est lui, et lui seul, qui fait et défait les médias. Son choix permettra de faire la différence entre les acteurs de l'information. Le citoyen tunisien ne doit pas fuir cette responsabilisation et ne pas se comporter comme une pauvre victime passive ne pouvant rien face au flot d'informations déversé à ses oreilles par les médias. Il est également important de préciser que cette grève et toute l'action de contestation des journalistes tunisiens dépassent largement le « simple » cadre de l'arrestation de Zied El Héni même s'il faut avouer que ce fût une très grosse goutte qui a fait déborder le vase. Cette action des journalistes vient souligner leur besoin et leur soif de liberté. Les journalistes ont une seule revendication simple et, en même temps, difficile : Laissez nous faire notre travail comme nous l'entendons ! Le journalisme, de par sa nature même, ne peut être soumis au dictat ni du pouvoir, ni des pressions économiques. Dans le premier cas c'est de la propagande, dans le deuxième c'est de la publicité. Quant à ceux qui sont contents que les médias fassent grève de peur que ces derniers colportent des rumeurs, on ne peut que répondre que tant qu'il existera des personnes de leur genre et de leur acabit, les rumeurs ont de très beaux jours devant elles et continueront à être créées, colportées, répétées, ruminées et recrachées à l'oreille d'autres personnes.