Attendue depuis des jours, la position du Front populaire a fini par tomber, mais elle a créé plus de déçus que de conquis. « Le Front populaire appelle à barrer la route à Moncef Marzouki », peut-on lire dans son communiqué, mais sans pour autant ouvertement désigner son principal adversaire comme candidat à soutenir. Position trouble ou véritable manœuvre ? La position, très attendue, du quatrième gagnant des législatives ne s'est pas faite retentissante. Bien au contraire. Le Front populaire s'est fendu, jeudi 11 décembre 2014, d'un communiqué pour le moins surprenant. « Le FP appelle ses partisans à barrer la route vers Carthage à Moncef Marzouki mais insiste qu'il ne délivre, ainsi, pas de chèque en blanc à Béji Caïd Essebsi ». Le Front, ainsi que son leader Hamma Hammami, sont connus de la scène politique pour leurs positions tranchées et pour le moins directes. Celle, concernant le second tour, très décisif, de la présidentielle, a été tout sauf à leur image. En 2002, la gauche française avait été appelée massivement à voter Chirac, qui se présentait au second tour de la présidentielle contre Le Pen. « Bouchez-vous le nez et votez Chirac » pouvait-on entendre lors de la célèbre manifestation du 1er mai où on appelait à « voter Supermenteur contre Superfacho » et où on scandait : « abstention piège à cons ! ». La gauche tunisienne semble avoir adopté la même stratégie. En Tunisie, avec ses 15 sièges au parlement et les 7% de son leader, Hamma Hammami, respectivement, aux législatives et au premier tour de la présidentielle, le Front populaire est une force politique incontestable. Mais cette force politique a toujours été un électron libre, plutôt insaisissable. Tout en ne voulant se résigner à désigner, ouvertement, BCE comme le candidat à soutenir, la principale formation de gauche a appelé ses électeurs à « participer massivement au deuxième tour de la présidentielle » et à condamné « les discours diviseurs du candidat Marzouki ». Béji Caïd Essebsi serait-il donc le candidat du moindre mal pour le Front populaire ? Incontestablement oui, mais sous conditions. En délivrant ce message ambigu, le Front laisse la patate chaude entre les mains du candidat de Nidaa Tounes. Un candidat qui devra « montrer pate blanche » avant d'avoir l'aval de la formation politique de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi puisqu'on n'appellera à voter que pour « le candidat avec lequel on partagera les grandes lignes du programme ». Le Front reproche aussi à Béji Caïd Essebsi de ne pas avoir été suffisamment clair quant à ses relations futures avec Ennahdha, et de même, ses éventuelles alliances, en l'occurrence, gouvernementales. En effet, la participation d'Ennahdha au gouvernement, prochainement formé par Nidaa, premier des législatives, n'a pas encore été tranchée. Aussi, le FP a fait part de son inquiétude de voir ressurgir la tyrannie et la corruption de l'avant-révolution à travers « des mécanismes et des alliances contraires aux objectifs de la Révolution » mais aussi à travers la présence de figures de l'ancien régime dans les rangs de Nidaa. Une telle annonce a été accueillie avec froideur par le parti de Béji Caïd Essebsi, sans pour autant qu'un commentaire officiel ne soit publiquement prononcé. En effet, Nidaa Tounes n'a cessé de réclamer depuis les législatives, une coalition avec le parti de Hamma Hammami. Nidaa compte en effet sur les alliances avec les formations « qui lui sont proches » pour atteindre une majorité confortable à l'Assemblée des représentants du Peuple. Mais cette « proximité » entre les deux ne semble pas mettre d'accord le Front qui continue à apposer des conditions en vue d'une éventuelle future alliance. Force est de reconnaitre que la position du Front n'a pas seulement déplu à Nidaa Tounes, elle a suscité également les foudres des soutiens du candidat Marzouki. En effet, un communiqué du parti de Rached Ghannouchi a rapidement suivi celui du FP déplorant « les contrevérités, les chantages et l'esprit d'exclusion » contenus dans la déclaration des dirigeants de ce dernier. Ennahdha a très moyennement apprécié de se faire accuser « d'avoir un candidat détenu en otage » en insistant, encore une fois, sur la position de neutralité que le parti a décidé d'adopter face au second tour de la présidentielle. Le Front populaire a en effet refusé de soutenir Moncef Marzouki, non en tant que candidat du CPR, indépendant, ou président participant à sa reconduction. Le FP a considéré Marzouki comme étant « le candidat d'Ennahdha ». Chose qu'Ennahdha perçoit comme « une orientation discriminatoire envers le parti islamiste ». Mais le Front populaire reste convaincu de l'efficacité de son message. Riadh Ben Fadhel, l'un des dirigeants du Front, s'est exprimé sur les ondes de Mosaïque Fm, samedi 13 décembre 2014, afin de rappeler que le « Front reste attaché aux libertés et n'est nullement pour l'exclusion d'une partie en faveur d'une autre ». Suite à l'annonce des résultats du premier tour de la présidentielle, Hamma Hammami a adressé un discours, empreint d'émotion, à l'adresse de ses partisans mais aussi des Tunisiens et de la classe politique réunis. Arrivé à la troisième place, le leader de gauche a salué les électeurs qui n'ont pas voté pour lui, d'avoir répondu à leur devoir citoyen et a rassuré les militants du FP mais aussi l'ensemble des Tunisiens en disant : « Nous agirons en fonction de l'intérêt du pays ». Et d'ajouter: « Nous ne soutenons, pour le moment encore, aucun candidat. Mais nous adopterons une position collective compte tenu de l'importance de notre rôle, lors du second tour du scrutin présidentiel ». Le message délivré par le Front populaire ne comporte pas de consigne de vote claire. Consigne de vote que la formation politique de Hamma Hammami n'est pas encore prête à donner à l'heure actuelle mais qu'elle pourrait délivrer dans quelques jours, selon des sources du parti. Pour l'heure, le FP a préféré donner un véritable message politique. Un message à l'adresse de Moncef Marzouki avec lequel il marque une nette rupture mais surtout à l'adresse de Béji Caïd Essebsi qu'il appelle à réviser ses positions s'il souhaite bénéficier du soutien de ses bases. Les bases du Front populaire apprendront-elles, aussi, à se boucher le nez et à voter BCE lors du second tour, prévu dans très exactement une semaine ? Synda TAJINE