Par Khaled EL MANOUBI (*) Mzali croit qu'il boute Wassila alors que cette dernière finira par être répudiée en 1986 pour éviter à elle-même la résidence surveillée à vie en compagnie de l'ancien président. BCE résume ainsi la prétendue disgrâce de Wassila tout comme celle, prétendue, de Torjeman : «Le procès d'exclusion de Wassila, commencé en mai (1986, KEM) avec l'arrestation et la condamnation de son gendre Taoufik Torjeman-BCE reconnaît que «Torjemam était arrêté dans des conditions obscures-» (p.270) et poussé jusqu'au divorce et plus loin encore avec l'annulation de l'acte d'adoption de Hajer, fille adoptive commune du couple Bourguiba. Le président appelle un matin Wassila à Washington pour lui dire : «tu es divorcée, que vas-tu faire désormais?» Elle lui répond calmement « J'accepte ta décision et je n'ai rien à ajouter». C'était le 12 août 1986, la veille du 30e anniversaire du Code du statut personnel, célébré chaque année en Tunisie comme Journée de la Femme» (p.270). Il faut préciser, ici, d'une part que le sauvetage ne concerne pas seulement Wassila mais également Hajer, et ce, au prix de cette monstruosité juridique de l'annulation d'une adoption, sauf que les deux concernées le savent bien. Cette monstruosité juridique elle-même, faut -il le préciser, fait suite à une autre monstruosité: la «petite Hajer Bourguiba (est officiellement, KEM) la sœur et la fille adoptive de Wassila» (p.274). Quant à l'inconditionnel de Bourguiba Taoufik Torjeman, il faut rappeler que Hédi Baccouche a avoué l'avoir mis en cause 1969 pour hostilité à la politique des coopératives, mise en cause qui a déjà valu au gendre de Wassila de faire-pour la galerie!-de la prison. Dans sa résidence surveillée-pudiquement appelée «retraite de Monastir» par BCE-Bourguiba a prétendu «que son divorce était nul pour vice de forme, puisqu'elle (Wassila) n'avait pas été convoquée à l'audience» (p.270) «mais Wassila a refusé de le revoir» (p.270), en fait, de crainte d'être comme lui écrouée. Au surplus, il ne s'agit nullement d'un vice de forme car seul Bourguiba pouvait intimer l'ordre au juge de «vicier» la procédure. Il s'agit, en réalité, d'une turpitude présidentielle et, en droit, un principe veut que « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude». Sur la foi de l'interview du 28 juillet 1982, la justice du prestigieux Etat de Bourguiba prononcera le divorce «en l'absence de son épouse et à ses torts» au motif «d'avoir causé du tort à son mari en contrevenant aux dispositions constitutionnelles». Et BCE de s'esclamer: «comme si la violation des règles constitutionnelles par l'un des conjoints(...) est un motif légitime de divorce»(p.389)d'autant plus que les outrages à la Constitution étaient banalisés. Le jugement défend même à Wassila «de se réclamer à l'avenir du «titre de majda»» lors même que , observe BCE, «ce vocable» ne «faisait (pas) partie de son état civil». Sauf que Wassila savait bien, elle aussi, qu'une fois le «combattant suprême» ramené au statut moins brillant de «zaïm» tout court, il faudra mieux ne pas être la «majda» unie à une suprématie transformée en calvaire. Le sauvetage concerne également Hager, sœur et fille adoptive de Wassila. Outre la question de l'origine du caractère-fort curieux en lui-même-double de cette parenté, l'adoption de l'adoption de la sœur présumée par cette même sœur prouve que cette adoption a été faite et dans la perspective du vice-dauphinat de Nouira et dans la perspective que celui-ci survive politiquement au dauphinat du père adoptif, lequel n'est autre que l'époux de la sœur de cette fille nouvelle et finalement désavouée. Ainsi, le sauvetage de Hager et de Wassila est le fait de quelqu'un qui se protège très mal lui-même: il n'a, en effet, pas le choix que d'accepter la garantie de son intégrité physique. Ce salut fort relatif pour sa personne est fort délicat. Il faut, en effet, d'une part que l'adoubement de Ben Ali vienne de Bourguiba lui-même mais, d'autre part, et pour que son successeur puisse se refaire une santé en termes de légitimation, la qualification du trio ne doit pas, en apparence, être le fait de Bourguiba. Ainsi, celui-ci tient-il à faire endosser par Mzali et le rappel de Saïda et l'investissement de l'Intérieur et du Parti par le trio Ben Ali-Ammar-Baccouche. Or, ces deux manœuvres ont été exécutées à la faveur de la révolte du pain et de la répression sanglante qui s'en est suivie, début 1984. Mais cette affaire a été clairement fort mal menée. En effet, BCE signale d'abord que «l'erreur du Premier ministre (était de considérer) que l'accord de l'Ugtt, formalisé le 4 janvier 1984, (était) suffisant ( en plus du soutien du comité central du PSD, le 29 novembre 1983) pour garantir la paix sociale» (p.218). Sauf que, d'une part, «la majorité (des membres du gouvernement souhaitait) une augmentation progressive sur cinq ans» (p.219) et non le doublement du prix du pain en une seule fois et qui a mis le feu aux poudres; d'autre part, et surtout, BCE signale également que Ahmed Bennour, Secrétaire d'Etat à la Sécurité a pris contact avec lui pour lui dire: «je vous adjure d'intervenir pour essayer de le (Mzali) dissuader, sinon nous allons dans le mur!» (p.219). Mais, «devant les rappels insistants du président, le Premier ministre a dû se résoudre» (p.219) à l'augmentation considérée comme excessive par l'homme fort, bien renseigné qu' était le flic Bennour. Et l'on aura le cynisme d'accabler Guiga pour n'avoir pas fait suffisamment de morts! Mzali ne s'en privera point pour faire porter le chapeau à son ministre de l'intérieur. Mais en matière de cynisme, Bourguiba est difficilement égalable. S'adressant à BCE en 1985 ne dit-il pas: «C‘est Mohamed Mzali qui me succédera(...) mais il faut qu'on lui trouve un Premier ministre, un bon Premier ministre! Voilà, c'est celui-là, le fils de Tahar Sfar (Rachid), il fera un bon Premier ministre». Sauf que Rachid Sfar sera l'année suivante le Premier ministre non de Mzali mais de Bourguiba... Et Ben Ali avait déjà supplanté Mzali à l'Intérieur. C'est du beau, la parole bourguibienne !! Quant au peuple...Avant de conclure, nous nous devons de savoir gré à BCE d'avoir répondu au devoir de «témoigner» (p.11) dans un livre dédié en 2009 «à la jeunesse» (p.7) laquelle n'a pas tardé, historiquement parlant, à se manifester à partir de l'année suivante. Au plan de la réflexion, ce qui précède est fort nourri de l'ouvrage de BCE. Certes, l'auteur de ces lignes a bien entamé le troisième âge sauf que, par l'âge, il pourrait bien être le fils de BCE. (*) Ancien doyen et professeur émérite d'économie politique